[podcast] Le choix d’être mère ou childfree – avec Bettina Zourli

Bettina Zourli - Le choix d'être mère ou childfree

Quatrième épisode du podcast de La Place des Grenouilles.

En France depuis le milieu des années 70, les femmes sont censées pouvoir éviter des grossesses. Et pour autant, les femmes childfree dérangent.

Spécialisée dans le féminisme et la politique, Bettina Zourli est journaliste, essayiste, diplômée en études de genre et militante engagée dans une démarche intersectionnelle. C’est aussi la créatrice du podcast Amour(S), de contenus sur Instagram (@jeneveuxpasdenfant) et du Temps du choix : être ou ne pas être mère, aux éditions Payot.

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L’épisode a été enregistré le 02/04/2024.

La musique est composée par Gisula (https://gisula.com).

Transcript de l’épisode :

[musique de générique d’intro]

Sara : La Place des Grenouilles, c’est une association ET un podcast qui proposent des espaces de discussion et de réflexion pour déconstruire, ensemble, les normes de genre.

Florence :  Au fil des épisodes, on vous propose :

– de revenir sur des œuvres et événements qui nous ont plu,

– de découvrir des métiers à priori genrés,

– ou encore d’approfondir des sujets de société grâce à des expertEs de différents domaines”

Sara : Nous sommes Florence et Sara,

Florence : bienvenue sur La Place des Grenouilles”

[fin de la musique de générique d’intro]

Sara : Bonsoir Bettina, merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation !

Bettina Zourli : Bonsoir ! Merci pour l’invitation. C’est cool !

Sara : On est ravies d’accueillir Bettina, donc Bettina Zourli, qui est journaliste spécialisée dans le féminisme, la politique, qui est essayiste, diplômée en études de genre et militante engagée dans une démarche intersectionnelle. Tu es aussi créatrice du podcast Amour(S), où on parle de faire famille autrement (on dézingue un peu le couple traditionnel), et de contenus sur Instagram ; le compte c’est @jeneveuxpasdenfant parce que tu es childfree

Bettina Zourli : C’est ça ! (rires)

Sara : Donc childfree qui veut dire “sans enfant”, “qui ne souhaite pas d’enfant” ; et je trouve ça intéressant qu’on n’ait pas de terme en français, on dit “sans enfants” et en anglais on a la distinction childfree et childless ; est-ce que tu veux peut-être dire deux mots là-dessus ?

Bettina Zourli : Ouais tout à fait, donc childfree : le mot déjà il est pas si vieux que ça, en gros il a été écrit pour la première fois par une journaliste dans le Time Magazine aux États-Unis, cétait en 1972 donc c’est pas si vieux et effectivement c’était dans le but de justement une démarche de personnes qui voulaient pas d’enfant de différencier du mot childless qui veut dire “sans enfant” mais pas par choix forcément. Et depuis bah moi j’utilise (comme plein d’autres gens) j’utilise toujours le mot childfree (mais parce que ça me dérange pas les anglicismes, je sais que ça dérange plein de gens en France quand même) mais en gros c’est juste qu’on n’a pas de traduction et en même temps c’est que la difficulté je pense c’est de trouver un mot qui ne mette pas enfant au centre, parce que je sais que ça dérange plein de gens childfree notamment c’est qu’il a toujours le mot parent ou enfant dans la définition alors qu’en fait souvent quand on veut pas d’enfant, on se définit par carrément autre chose, c’est très rare qu’on se dise, enfin, on est obligé·e de dire “je ne veux pas d’enfant” ou “sans enfant par choix” mais c’est pas central dans nos vies en fait, donc c’est plutôt une absence. Mais donc ouais c’est intéressant de voir les les absences de langage de mots selon les langues ; je faisais je fais un parallèle dans mon livre sur le fait que en Alaska, non c’est les Inuites pardon, qui ont une dizaine de mots différents pour définir le mot blanc et la couleur blanche, parce qu’en fait c’est leur quotidien donc ils ont besoin de nuance et que nous bah le fait qu’on ait pas un certain mot (d’autres mots childfree c’est un exemple quoi) bah ça montre bien que c’est des impensés dans nos sociétés quoi.

Sara : Ouais clairement, parce que la la pensée fait le langage et aussi inversement.

Bettina Zourli : Clairement ! C’est pas pour rien que c’est un tollé l’écriture inclusive… (rires) 

Sara : Oui ! 

Bettina Zourli : Je veux dire, tout le monde est là “oui mais le langage on s’en fout” bah si on s’en foutait il y aurait pas des gens au gouvernement qui sont contre le point médian !

Sara : Ouais clairement. 

Bettina Zourli : Ouais ouais, à fond.

Sara : Euh, donc aujourd’hui on t’accueille aussi pour parler de ton essai, parce que tu as vraiment approfondi le sujet. Le sujet des childfree ça a été, si j’ai bien compris, tout le démarrage de ton engagement féministe, même si aujourd’hui tu t’engages aussi en tant qu’alliée dans des causes antiraciste, antivalidiste, écologiste, etc. et donc ton essai qui s’appelle Le temps du choix, être ou ne pas être mère, que j’ai…

Bettina Zourli : j’fais ma pub ! 

Sara : oui, ben oui, génial ! 

Bettina Zourli : parce que je suis trop fière des couleurs qu’on a choisies !

Sara : Oui ! Du coup, est-ce que tu veux décrire pour les auditeurices la couverture ?

Bettina Zourli : Ouais bah le nom déjà, ça peut être le début, donc voilà. Le temps du choix c’est le nom de l’essai et le sous-titre c’est Être ou ne pas être mère. En gros, le titre, je l’ai choisi avec mon éditrice ; on a discuté pendant de longues heures parce que je voulais un propos qui soit rassembleur, parce que déjà que je tiens un compte Instagram comme tu l’as dit qui s’appelle “je ne veux pas d’enfant” bah de base il y a plein de personnes qui ne lisent pas mon contenu parce que ils et elles considèrent que ça les concerne pas, parce qu’ils veulent des enfants ou qu’ils hésitent, et en réalité quand tu passes, quand tu lis deux trois publications sur mon compte Instagram, en général tu comprends assez vite que : un, je suis pas du tout anti-parent, que je suis plutôt alliée, surtout des mères (parce que je suis féministe et que en tant que féministe, je vois pas comment je pourrais être contre les mères de famille, enfin ça n’aurait aucun sens), et surtout je suis en faveur d’un parcours de parentalité pour tout le monde, donc un parcours de réflexion parce que c’est vrai que moi, en tant que childfree, j’ai une chance énorme c’est que quand je dis que je veux pas d’enfant on me dit tout le temps “mais pourquoi” et en fait c’est hyper énervant mais c’est aussi une chance énorme parce que j’ai l’occasion de réfléchir à mon désir et de toujours renouveler cette certitude (ou pas) que je ne veux pas d’enfant. Et à l’inverse, quand tu veux des enfants, ben tu as rarement des personnes qui te renvoient une anormalité supposée (parce qu’en fait c’est juste “normal” de vouloir des enfants) et donc moi j’aimerais bien que tout le monde ait l’occasion d’avoir un espace de réflexion pour faire le temps du choix, et donc peu importe la réponse, que ce soit d’avoir ou de pas avoir des enfants. Du coup c’était, c’est vraiment ça, l’objet du livre, c’est de revenir sur : est-ce que c’est universel ; est-ce que c’est inné, viscéral de vouloir des enfants ; qu’est-ce que la maternité fait comme discriminations aux femmes et comment on peut faire pour que bah ce ne soit plus une source de discrimination, en gros.

Sara : Oui en effet, je trouve que c’est hyper intéressant de questionner une espèce de “choix” (entre guillemets) par défaut (euh je mets des guillemets parce que justement, comme c’est le cours “naturel” (avec beaucoup de guillemets) des choses), ce qu’on nous vend c’est le couple, enfin peut-être le travail, le couple, la maison, la voiture, le chien, l’enfant… on se pose pas la question et c’est quand même un choix important, quel qu’il soit. 

Bettina Zourli : Oui c’est la plus grande responsabilité d’une vie, de faire un enfant ! Alors j’en n’ai pas (donc évidemment, je pense que tout le monde a compris) mais (rires) en fait c’est ça, je pense que tout le monde doit prendre conscience, enfin, en fait se dire euh “est-ce que je prends le temps de réfléchir justement pour préparer ce désir d’enfant et le muer en projet d’enfant” —c’est une nuance que je fais dans le livre d’ailleurs— et j’ai aussi un petit chapitre où j’imagine plein de questions qu’on peut se poser quand on est un couple imaginons (ou toute seule hein) pour se dire “ok je veux concrétiser potentiellement ce désir”, comment je vais faire, qu’est-ce qui va, enfin, quelles questions il faut se poser potentiellement, la liste est pas du tout exhaustive quoi mais …

Sara : Ouais j’ai adoré cette partie j’ai bien aimé, dans ce parcours de parentalité, cette liste de questions qu’on peut se poser en tant que co-parent potentiel ou en tant que couple ou voilà.
En préparant cet épisode je je voulais te questionner, t’interroger sur le les raisons pour lesquelles les childfree et notamment les femmes childfree dérangent. Tu ouvres le livre sur une illustration d’un double standard : on pose la question des enfants à Thomas Pesquet et à Salomé Saqué et les réactions ne sont pas du tout les mêmes.

Bettina Zourli : Ouais, je sais pas si vous vous rappelez, donc c’était en octobre 2023, parce que moi j’ai bouclé mon livre en novembre 2023 (donc c’était vraiment juste à la fin) et donc c’était sur France Inter, les deux épisodes à une semaine de décalage il y avait d’abord Thomas Pesquet je crois enfin je sais plus dans quel ordre c’était, ouais c’était d’abord Thomas Pesquet…

Sara : Il me semble, oui.

Bettina Zourli : …donc qui dit que bah parce que, enfin, en gros on lui demande pourquoi il veut pas d’enfants, c’est Léa Salamé qui lui dit parce que votre carrière prend le dessus sur tout, et il dit bah non c’est juste que, enfin, du coup, d’une certaine manière oui c’est qu’en gros il dit bah c’est vrai que si je faisais des enfants, c’est pas pour autant que j’arrêterais mon métier qui est quand même un métier passion je pense (le mec est astronaute quand même, enfin c’est pas un métier lambda non plus, tu vois) enfin voilà, et en gros que bah il veut pas imposer la charge mentale à son épouse, ce qui est une excellente réponse, qui en plus, je pense, a permis de faire réfléchir plein d’hommes sur la charge mentale qu’ils peuvent imposer à leur compagne.

Sara : Espérons-le ! (rires)

Bettina Zourli : Ouais, j’espère ouais ben je pense que, quand même, tu vois, un mec qui a autant d’influence et d’aura, enfin franchement, c’est incroyable, le mec il est connu de la France entière, il est très respecté, enfin, c’est chouette qu’il ait cet esprit critique là-dessus. Et à l’inverse, tu as Salomé Saqué, qui est donc journaliste, et qui la semaine d’après a été reprise sur son livre Sois jeune et tais-toi —le truc fait 250 pages, c’est une enquête journalistique d’une qualité incroyable— il y a UNE phrase où elle dit qu’elle hésite à faire des enfants parce que elle souffre d’éco-anxiété (alors, je sais pas, même elle, elle le dit pas comme ça je crois), mais en gros, elle a peur pour l’avenir parce qu’elle est aussi journaliste spécialiste sur l’environnement et la politique donc elle s’y connaît sur le mur dans lequel on est en train de foncer et là mais en gros sur les réseaux sociaux moi j’ai fait une petite analyse des commentaires sous ces deux vidéos parce qu’ils ont tous les deux relayé les vidéos sur leurs réseaux respectifs. C’est d’un côté c’est “wow quel homme, il est incroyable” et tout et de l’autre, Salomé s’est pris un shitstorm de l’enfer quoi, c’est vraiment, elle s’est fait insulter mais comme pas permis et avec vraiment des trucs qui reviennent hyper souvent, que moi j’entends depuis 4 ans, depuis que je suis sur les réseaux sociaux, à savoir “t’es égoïste”, “de toute façon à cause de toi c’est le grand remplacement qui arrive” (parce que bah Salomé est une femme blanche aussi, qui ne veut pas d’enfant potentiellement, donc c’est la porte ouverte à “l’immigration de masse qui fait des enfants beaucoup plus que les femmes blanches”) enfin bref, des trucs comme ça quoi. Donc ouais c’est assez marrant.

Sara : Donc tu mentionnes le côté égoïste, qui revient beaucoup, il y a l’immaturité aussi qui est invoquée souvent, quel autre jugement on a des femmes qui choisissent de ne pas avoir d’enfant ?

Bettina Zourli : Ouais l’immaturité, tu as raison, ouais ça revient aussi souvent c’est que une femme respectable et une vraie femme c’est une femme qui a des enfants, et d’ailleurs je fais un parallèle je suis un peu déçue de pas, enfin, depuis que mon livre est sorti en fait il y a eu tellement de dingueries de nos politiques…

Sara : Tellement !

Bettina Zourli : … que je me dis “oh là là, j’aurais pu te mettre tout ça dans mon livre !” genre il y a eu un des… un des membres de Reconquête, mais je sais plus son nom (donc d’un parti d’extrême droite) qui a dit, enfin, qui disait que Marion Maréchal était la seule femme politique à pouvoir vraiment guider un pays parce qu’elle a des enfants. Et en gros, il faisait le parallèle avec bah notamment Emmanuel Macron, qui a pas d’enfants, Gabriel Attal, qui a pas d’enfants etc., enfin tous les gens qui sont au gouvernement, c’est vrai qu’il y en a beaucoup qui ont pas d’enfants, et en gros il a essentialisé le fait de faire des enfants en disant que c’est, bah ça te donne une, des compétences en plus, tu vois, alors je pense que quand tu as des enfants tu développes un panel de compétences incroyables, ça je le nie absolument pas, par contre tu peux absolument pas non plus instrumentaliser le fait d’avoir ou de pas avoir d’enfants pour faire jouer des tendances, tu vois, en politique c’est ridicule quoi…

Sara : Pardon, dans ce cas-là, mettons Sandrine Rousseau à la tête d’un ministère, elle a des enfants ! (rires)

Bettina Zourli : Ah ben voilà, bah ouais, ce serait cool j’avoue (rires). Et ouais du coup il y a ça, et ce qui revient souvent aussi c’est la pathologisation. Moi je sais qu’on m’a déjà pas mal dit que il y avait forcément quelque chose à creuser de traumatisant dans mon enfance et c’était forcément la raison pour laquelle je voulais pas d’enfant et du coup moi je prends toujours énormément de plaisir à détailler le fait que j’ai une enfance hyper heureuse, et que d’ailleurs, si j’ai la liberté, la sérénité de m’exprimer sur le fait que je veille pas d’enfant et de pas me sentir en insécurité sur ça, même de me prendre, enfin tu vois, quand tu es sur les réseaux sociaux, tu t’en prends quand même plein la gueule hein, surtout en tant que femme féministe et tout, bah si en fait je me sens tellement légitime à parler c’est notamment parce que j’ai une enfance tellement safe, incroyable mais qu’en fait, mine de rien, c’est pas la norme ça, pour le coup, c’est que bah en France (je vais parler que de ce que je connais, d’ailleurs j’en parle pas mal dans le livre) c’est que la famille en tant qu’institution en France elle est pétrie de violences, c’est un haut lieu de reproduction des violences et donc de discriminations, pour les enfants notamment, et moi du coup j’ai eu énormément de chance, c’est à-dire que ma mère n’a jamais considéré que j’étais sa propriété, elle a jamais forcé quoi que ce soit sur moi en termes de parcours scolaire, de parcours de vie, elle est jamais partie du principe qu’elle serait grand-mère donc voilà en fait, au moment je lui ai dit, je sais pas, il y a 10 ans, j’ai dû lui dire que bah j’aurais pas d’enfant quoi et elle m’a dit “ben en vrai ça m’étonne pas trop de toi”, c’est à dire que c’est tellement dans mon ADN elle m’a dit “mais je comprends tellement en fait, c’est tellement toi, de pas être mère” enfin tu vois, c’est toujours bizarre de parler d’un truc qui est de l’absence mais en gros les gens qui me connaissent, quand tu me connais dans la vraie vie de manière intime, c’est tellement logique que j’aie pas d’enfant, c’est-à-dire que je suis faite pour pas ça, je suis faite pour autre chose, et sans dénigrer la parentalité hein, quand je dis ça c’est vraiment sans jugement, mais juste : je suis faite pour plein d’autres choses mais pas pour, ça et du coup voilà c’est vrai que ouais il y a la pathologisation et je sais que moi j’ai plein de témoignages de femmes qui me disent qu’elles font pas d’enfants parce qu’elles ne veulent pas reproduire des schémas familiaux donc ça je le nie pas non plus mais à l’inverse, tu peux aussi faire des enfants pour ne pas reproduire des schémas familiaux, enfin il y a pas de vérité scientifique…

Sara : … de règle.

Bettina Zourli : Oui y’a pas de règle, tout à fait.

Sara : Et du coup, quels sont les motifs (des femmes notamment mais peut-être aussi des hommes) des personnes childfree, qu’est-ce qui est, quelles sont les raisons qui sont invoquées pour ce choix ?

Bettina Zourli : Euh bah les raisons elles sont hyper variées mais la première en tout cas (là je me fie au dernier sondage qu’il y a eu en France, c’était le sondage IFOP pour le magazine Elle en octobre 2022), la première raison c’est le désir d’être en accord avec soi-même et le mot qui est invoqué par les femmes (parce que c’était que sur les femmes, là ce sondage là) c’est la liberté et effectivement c’est vrai que en fait si, moi je, je me rallie aussi à ça, c’est que si demain je (bon, j’ai une ligature des trompes donc je ne peux pas tomber enceinte mais imaginons (rires)) si demain je tombais enceinte, ce serait une perte de liberté énorme parce qu’en fait c’est tellement aux antipodes de mon désir, que ce serait horrible pour moi si je pouvais pas avorter par exemple ou je ne sais pas, donc c’est vraiment le truc qui revient le plus, c’est le fait de vouloir être le plus alignée possible avec sa vie et ses désirs quoi. Et après il y a tout un panel qui peut, je pense qu’il y a autant de raisons de pas vouloir d’enfants que de personnes qui en veulent pas, clairement, mais ça va de préoccupations féministes, préoccupations financières, sur la santé physique ou la santé mentale, sur l’écologie etc. quoi, mais c’est vraiment, ça vient toujours après le fait de bah d’être alignée avec qui on est quoi.

Sara : C’est intéressant parce que les médias en général évoquent beaucoup l’éco-anxiété. Est-ce que tu veux dire deux mots là-dessus ?

Bettina Zourli : Ouais ouais c’est vraiment, mais en fait je pense que c’est parce que c’est un discours qui arrange tout le monde, c’est-à-dire qu’aujourd’hui les climato-sceptiques ou climato-négationnistes, il y en a quand même de moins en moins (et heureusement) et effectivement la crise climatique on en parle tous les jours, ce qui est une bonne chose mais c’est vrai que du coup il y a aussi ce truc de bah déjà, ça donne du grain à moudre dans les commentaires des médias tu vois, sur les réseaux sociaux en mode ça crée une guerre en fait, c’est que ce discours-là il alimente une guerre qui est inexistante entre parents et non parents, en disant —et enfin, “qui est inexistante”, qui existe quand même d’une certaine manière dans le sens où il y a beaucoup de childfree qui ont des propos parfois violents à l’égard des parents et moi j’essaie de faire mon maximum pour être plutôt le tampon entre ces deux mondes et en disant ‘en fait on est tous (et toutes, surtout) dans le même panier donc il y a aucune raison qu’on se tire dans les pattes’ mais c’est vrai que du coup, sous couvert d’écologie tu as des gens qui disent “c’est irresponsable de faire des enfants” et du côté des gens qui font pas d’enfants, ça les arrange bien de parler d’écologie en disant “ben moi je suis écolo : je ne fais pas d’enfant” alors qu’en fait (ça pareil, je le détaille dans le livre) c’est pas parce que tu as pas d’enfant que tu es écolo, enfin je veux dire, moi pendant longtemps (ce que je t’expliquais avant qu’on commence), c’est que j’ai travaillé dans le tourisme pendant 6 ans, je peux te dire que mon empreinte carbone euh… heureusement que j’ai pas d’enfant parce que les pauvres en fait c’est-à-dire que pour 10 générations j’ai niqué l’empreinte carbone de toute ma famille !

Sara : (Rires)

Bettina Zourli :  J’en suis pas fière ! Et maintenant j’ai décidé d’arrêter l’avion et tout parce que je suis devenue écolo entre-temps, et c’est pour ça que je travaille plus dans le tourisme, j’ai démissionné et tout, parce que ça me convenait plus, mais en gros j’ai tellement pris l’avion enfin, pour mon travail, c’est abusé, et du coup clairement je suis pas écolo, pour une vie entière mon empreinte carbone elle est foutue quoi, donc je peux essayer de me rattraper comme je veux mais voilà. Et je trouve que c’est aussi un discours ouais qui est très “moi je fais pas d’enfant donc je suis écolo” alors que ben c’est pour aller faire des voyages, des weekend en Italie tous les deux mois tu vois, enfin, et manger de la viande tous les jours, et acheter de la fast fashion enfin c’est un exemple l’avion, mais voilà. Et du coup, et à l’inverse ça sert à rien de basher les parents ou les gens qui veulent des enfants en disant “ah là là vous êtes trop irresponsables de faire des enfants”, ben non moi d’une certaine manière je suis d’accord que si plus personne n’a envie de faire des enfants, à quoi ça sert de se battre pour l’écologie en fait ? C’est que, d’une manière, on se bat pour la la survie de l’espèce humaine quand même ! Donc même moi, si moi si je veux pas d’enfant je suis quand même écolo, parce que bah, je suis végétarienne, je veux pas de voiture, j’achète pas de fast fashion, j’achète que en seconde main, mais parce que c’est bah c’est pour moi, mais c’est aussi pour les enfants.

Sara : Pour les générations futures.

Bettina Zourli : Ouais, pour les enfants de mes potes en fait, que j’aime ; j’aime mes amis quoi donc ouais je trouve que c’est un faux débat et que c’est vraiment des facilités médiatiques qui sont hyper énervantes quoi.

Sara : Ouais ! Il y a un aspect que tu développes dans ton essai qui me plaît beaucoup, qui me semble vraiment essentiel et qui explique, enfin, qui permet de comprendre pourquoi ce sujet-là que tu abordes —enfin, pas que tu abordes, que tu approfondis vraiment dans ton essai— est important et féministe. La question (je vais y arriver) : quel est le rôle de l’État, de l’école, du corps médical dans la mise en place de cette pression sociale ? Parce que je pense que, on va pas le nier, on sait qu’on subit une pression sociale à procréer. Quel est le rôle de ces institutions-là, justement, dans cette cette pression ?

Bettina Zourli : Ben en fait on perpétue, ouais toutes les institutions dans lesquelles on fait partie donc comme tu dis l’école, les hôpitaux, les maternités etc participent de… en fait on perpétue tout le temps cette division sexuelle genrée. Et notamment moi je prends l’exemple dès le plus jeune âge des jouets, c’est-à-dire que encore aujourd’hui enfin moi je je fais souvent ça donc à l’approche des fêtes (ou même un peu toute l’année), je vais souvent dans des magasins pour jouets pour enfants, pour voir un petit peu est-ce que ça évolue, est-ce que ça évolue pas, alors il y a quand même du mieux je trouve hein, depuis 30 ans quand même, mais on est toujours quand même sur quelque chose d’assez compartimenté avec cette idée que un petit garçon n’aurait quand même pas trop envie de s’occuper d’un poupon et que ça l’intéresse plus les découvertes scientifiques ou les dinosaures ou les trains et que à l’inverse c’est un peu plus flou chez les filles, il y a quand même plus de choix de jouets que moi quand j’avais 4 ans je trouve, mais voilà, il y a des toujours ça qui persiste, il y a toujours rien que, c’est des phrases qui sont parfois anodines tu vois mais, combien d’enfants, encore aujourd’hui, entendent cette phrase de, alors déjà de contrainte à l’hétérosexualité ; je reprends des termes de militantes féministes qui sont évoqués depuis les années 60 de contrat social hétérosexuel (enfin, ça c’est des féministes comme Monique Wittig, Carole Pateman aussi je pense, qui en ont pas mal parlé), c’est vraiment ce truc de de voir un petit garçon et une petite fille jouer dans la cour et de dire “ah c’est ton amoureux ?” ou à la sortie de l’école, comme si l’amitié homme-femme ne pouvait pas exister et comme si forcément il y avait cette idée que des hommes et des femmes ça doit s’aimer donc tu peux pas être LGBT déjà, et en plus, enfin, toujours ce truc de couple par-dessus tout et aussi cette phrase de “quand tu seras grande combien d’enfants tu voudras ?” ou ce genre de choses tu vois, et il y a plein de gens qui disent “oui mais bon, maintenant ça se fait plus trop…” Franchement j’ai une anecdote qui date d’il y a deux semaines et demi : j’ai été invité au Salon du Livre de Genève (alors, la Ville de Genève n’est peut-être pas la ville la plus progressiste d’Europe, j’en conviens !) mais j’ai passé des heures à débattre avec des femmes donc il y en avait une qui était une sage-femme et deux-trois autres je sais plus leur métier (mais peut-être qu’elle me l’avait pas dit) mais en tout cas des femmes de plus de 50 ans qui étaient, enfin en gros qui ont vu mon livre donc sur le stand elles ont vu mon livre comme ça elles sont passées une fois, puis une deuxième fois…

Sara : (Rires)

Bettina Zourli : Et elles sont venues me parler tu vois, et en gros il y a vraiment ce truc de “alors je comprends pas votre propos”, ça c’était ça, et du coup ça a ouvrait la discussion et c’était plutôt bienveillant mais il y a quand même eu trois quatre fois où franchement limite je me suis engueulée avec elles parce que c’est vraiment des trucs “de toute façon il faut faire des enfants”, “de toute façon mes petits-enfants enfin mes enfants auront des enfants” (quand c’était pas déjà fait) et de toute façon bah “les petits-enfants c’est la plus belle chose qui pouvait m’arriver” et j’étais là “mais j’ai jamais dit le contraire !” enfin, vraiment, elles me prêtaient des propos que j’avais pas du tout et elles le prenaient vraiment comme une attaque personnelle, donc oui oui, je pense que l’entrave déjà au libre choix persiste, et l’injonction à faire des enfants, elle est là, et moi toutes les semaines sur Instagram je reçois des témoignages de femmes qui me disent “bah j’hésite mais ma belle-famille me met la pression” ou au boulot aussi, même les collègues et tout, enfin j’ai des femmes qui m’ont aussi déjà écrit en disant qu’elles avaient fait des enfants par reproduction sociale tu vois, parce que leur mari leur a mis la pression ou leur belle-mère ou ce genre de choses tu vois, donc on n’est pas encore dans le libre choix quoi.

Sara : Non, et justement tu mentionnes ces pressions familiales, tu l’as évoqué rapidement tout à l’heure, tu dis bien, tu expliques en quoi la maternité ça devient un risque multiple pour les femmes aujourd’hui dans notre société (vu la configuration actuelle) ; est-ce que tu peux un petit peu détailler ce point-là ?

Bettina Zourli : Ouais en fait tout le deuxième chapitre, enfin la deuxième partie de mon livre est dédiée à ça, donc je me suis dit que c’était important de refaire un état des lieux en 2024 de la somme de discriminations qui sont en jeu quand une femme a des enfants versus quand un homme en a, parce que je parle par exemple d’un double standard qui donc a été révélé par des études sociologiques, par exemple qui montre que plus un homme a d’enfants et ben mieux il gagne sa vie, parce que plus il a de temps, parce qu’en fait à l’inverse plus une femme a d’enfants et plus elle s’éloigne du marché du travail et en soit ce serait pas un problème, c’est-à-dire que pareil : il peut y avoir un discours féministe qui a pendant longtemps été contre les mères au foyer, moi je suis pas du tout contre les mères au foyer, enfin, je vois pas comment je peux être contre si c’est choisi, par contre il faut pas oublier qu’il y a quand même un gros pourcentage de femmes qui sont soit à temps partiel, soit au foyer qui ne l’ont pas choisi, qui aimeraient travailler, qui aimeraient avoir leur indépendance financière, qui aimeraient avoir une vie sociale, parce que c’est aussi ça qui se joue, dans le fait d’être au foyer, c’est l’indépendance financière ou la dépendance financière et la sociabilisation, et du coup il y a vraiment ça qui est en jeu, c’est à-dire qu’encore aujourd’hui, en 2024, une femme qui a des enfants, c’est un risque d’appauvrissement, c’est un risque donc d’isolement social, c’est un risque au niveau des violences obstétricales qui persiste. Ca avait été mis en en avant par un super livre d’ailleurs, que je vous conseille, qui est Le Livre noir de la Gynécologie (alors, je le conseille avec des pincettes dans le sens où, si vous allez accoucher bientôt, non (rires), soit bien avant d’avoir des enfants, soit après, mais plutôt bien avant mais vraiment avec du recul, parce que je pense ça peut être hyper violent à lire quand tu vas accoucher dans pas longtemps…) mais il est vraiment, c’est un super livre qui détaille tout le lot de violence obstétricale.

Sara : Je me souviens, tu cites un chiffre qui m’a vraiment marqué, que j’ai noté : “37 % des femmes ont constaté que leur souhait n’avait pas été respecté durant leur accouchement”. C’est énorme !

Bettina Zourli : Ouais ouais c’est énorme. Alors il peut y avoir des cas où le souhait ne peut pas être respecté, par une question d’urgence hein, aucun problème, mais en réalité ce que ce chiffre montre c’est qu’il y a quand même une autorité médicale, notamment de l’obstétricien, de l’accoucheur on peut dire (je le genre au masculin voilà, parce que malheureusement c’est aussi beaucoup d’hommes) et c’est vrai que il y a encore ce rapport de pouvoir qui persiste dans, au sein, dans les murs de l’hôpital quoi, donc ouais il y a tout ça, donc les discriminations financières on en a un peu parlé, donc j’ai parlé du fait que on s’éloigne du marché du travail plus on a d’enfants et que ça laisse tout le potentiel pour le conjoint de s’épanouir dans son travail parce que c’est pas que une image populaire mais c’est une réalité le fait que bah les hommes sont encore aujourd’hui (déjà, alors même que le congé paternité est obligatoire, il y a quand même toujours 30 % des hommes qui le prennent pas en France, quand même en tiers, c’est beaucoup) et que en gros ils ont enfin, c’est-à-dire que les hommes ont toujours ce luxe que pour eux la paternité soit optionnelle.

Sara : Oui, le choix : ils ont le choix !

Bettina Zourli : Oui voilà, eux ils ont le temps du choix, ouais pour le coup ! (rires) Euh et c’est-à-dire que s’ils ont envie de s’investir et ben ils peuvent parce que les moeurs ont beaucoup changé en termes de représentation, il y a un moment dans le livre je parle de l’expression “papa poule” qui a été inventé dans les années 80 ou 90 il me semble, et à la base c’était dépréciatif, c’est-à-dire bah une poule c’est pas hyper intelligent, enfin c’est pas ouf, en fait, comme terme, c’était pour se moquer des pères qui avaient envie de s’occuper de leurs enfants, et en fait ça fait que 20 ans (un peu plus de 20 ans) que c’est cool d’être un homme au foyer enfin “c’est cool” : ça dépend des milieux ! Les milieux virilistes et tout, les masculinistes, tout ça pour eux c’est pas cool de s’occuper de son enfant, mais ça change quand même donc eux maintenant ont un petit peu plus le choix même si il y a encore des hommes donc comme je disais qui prennent pas leur congé paternité parce que notamment à cause de pressions au travail hein c’est-à-dire des remarques de collègues qui leur disent “ah là là mais tu es pas un vrai mec si tu vas t’occuper de ton enfant” alors qu’ils en auraient envie.

Sara : Ouais puis “c’est bon c’est pas toi qui as accouché, elle se débrouille, elle est en “congé””…

Bettina Zourli : Ouais en plus ouais, cette image du “congé” qui persiste alors que c’est tout sauf un congé, mais d’ailleurs pareil, j’évoque un petit peu des pistes de réflexion pour essayer de sortir de ce vocabulaire qui en fait alimente des stéréotypes et des préjugés notamment qui desservent les mères en fait, donc pareil ou même la “maternité” tu vois, enfin, c’est con mais dès le moment où on accouche on exclut déjà le père, donc comment tu veux qu’il prennent plus leur place ? Enfin moi j’ai appris un truc mais j’ai halluciné de se dire que il y a encore plein d’hôpitaux où il y a pas un lit double ou un lit pour le père c’est-à-dire qu’en fait on dit le soir “monsieur vous partez” donc on l’exclut de sa famille : comment tu veux qu’ils prennent leur responsabilité en fait ? Comment tu veux qu’ils s’incluent dans leur famille ? 

Sara : Pour les cliniques privées je sais pas, mais pour tout ce qui est public, on est plutôt dans la tendance à supprimer des lits, qu’à en rajouter pour les papas…

Bettina Zourli : C’est quand même aberrant, enfin je veux dire : je vois pas comment on peut entériner les inégalités hommes-femmes qui en fait prennent le terreau fertile des inégalités hommes-femmes c’est la maternité, enfin c’est la parentalité du coup, et comment on peut gérer ça si on continue d’exclure les hommes ? Parce que bon, je parle vraiment des configurations hétérosexuelles, désolée mais c’est parce que c’est quand même la majorité des cas et en tout cas en termes d’étude sociologique c’est quand même ce qu’on étudie pour montrer qu’il y a des discriminations du coup bah entre hommes et femmes quoi, donc c’est pour ça que je m’attarde là-dessus, mais ouais du coup voilà toute la deuxième partie de mon livre c’est vraiment pour montrer, alors c’est la partie la moins fun et la plus euh violente… 

Sara : … et nécessaire hein, quand même !

Bettina Zourli : Oui voilà, nécessaire mais elle est… elle est dure, surtout quand on veut des enfants je pense et c’est pour ça qu’il y a une troisième partie après qui est beaucoup plus joyeuse, mais en tout cas voilà je trouve que c’est important de l’avoir en tête et c’est pas pour autant qu’il faut se dire “du coup je ne fais pas d’enfants” parce que c’est pas une solution de dire “il faut que les femmes arrêtent de faire des enfants pour qu’il n’y ait plus d’inégalités”, c’est débile comme réflexion, mais il y a des gens qui le disent, mais moi je suis pas dans ce côté-là, mais en tout cas voilà, je reviens un petit peu sur tout ce que ça fait comme discriminations aux femmes le fait d’avoir des enfants. 

Sara : Donc là on a parlé de toutes les injonctions à procréer, de cette pression sociale, du fait aussi qu’on on va un peu stigmatiser, marginaliser notamment les femmes childfree mais, paradoxalement, il y a aussi des entraves à la liberté de procréer dans certains cas : est-ce que tu peux un petit peu expliquer ça ?

Bettina Zourli : Ouais ouais avec plaisir, ben en fait tu l’as dit au tout début, j’essaie au maximum malgré le fait que j’ai plein de biais (par exemple par le fait que je suis une femme blanche, par le fait que je suis française, par le fait que j’ai plein de privilèges, que je suis plutôt issue d’une classe moyenne, que j’ai une aisance financière certaine…) mais en fait quand je traite un sujet, j’essaie toujours bah déjà de varier mes sources au maximum, donc par exemple, dans le livre, j’ai lu des penseuses qui viennent de plein d’autres continents parce que bah en fait la question de la maternité elle est aussi très culturelle.

Sara : Multiple.

Bettina Zourli : Et voilà, et multiple : tu peux pas, on peut pas traiter que sous un seul prisme donc je lis beaucoup les personnes LGBTQ+ parce que le rapport à la parentalité chez elles et eux est complètement différent et du coup justement en gros c’était aussi un moyen de montrer quand on est dans la norme en fait par exemple en tant que féministe on peut se battre pour l’accès à l’avortement par exemple, et en fait à l’inverse, tu peux avoir d’autres groupes de femmes qui peuvent se battre pour l’inverse, et c’est notamment une notion que j’aborde à la toute fin du livre, qui est une notion de la justice reproductive, qui est une notion qui a été mise en avant par les militantes afro-féministes notamment en disant mais en fait pendant que les femmes blanches se battaient pour le droit à l’avortement, nous on se battait pour avoir le droit d’avoir des enfants tu vois, et c’est vrai que quand tu te rends pas compte des discriminations, racistes notamment, que subissent les femmes ça peut paraître un peu bizarre mais en fait il a un exemple que je reprends qui est maintenant assez bien connu qui a été bien documenté, par des militantes comme Françoise Vergès notamment, c’est le fait que par exemple en France au début des années 1970 il y a eu des médecins de l’Hexagone qui ont été envoyés à la Réunion, en Guadeloupe et en Martinique pour avorter et stériliser de force des femmes, noires, donc dans les Antilles, parce que soi-disant les femmes noires faisaient trop d’enfants et que c’était une menace pour la France (donc le discours, juste parenthèse, mais le discours d’Éric Zemmour sur le grand remplacement il date pas d’hier hein c’est-à-dire que chaque époque a toujours eu son lot de “l’autre et l’étranger est dangereux pour nous” donc c’est vraiment, ça se base jamais sur des faits scientifiques bien sûr) et ce qui est intéressant c’est de voir que pendant qu’il y avait cette vague de stérilisation et d’avortement massif dans les Antilles, à la Réunion, et ben à l’inverse en France en Hexagone les femmes, blanches notamment, n’avaient toujours pas le droit d’avorter donc il y a vraiment ce truc de bien comprendre que on peut jamais traiter un sujet de manière unilatérale et que bah du coup maintenant c’est ce que j’essaie encore une fois un maximum de faire, même si j’imagine que c’est pas parfait du tout, c’est de se dire par exemple il y a plein de gens qui comprennent pas que je sois alliée des mères tout en étant de childfree, mais en fait ça paraîtrait aberrant que je le sois pas ! C’est-à-dire que je suis féministe, donc moi je suis pour le libre choix de tout le monde, donc je vais autant défendre des afro-féministes qui veulent accoucher en maternité (parce que c’est notamment une revendication par exemple de certains pays africains que je lisais au Sénégal, au Nigéria etc.) et le fait de défendre des femmes en Occident qui veulent dé-médicaliser leur parcours d’accouchement, enfin les deux fonctionnent ensemble en fait, c’est deux faces d’une même pièce mais en fait la maternité c’est trop intéressant comme sujet, je trouve ça génial, tu vois, enfin, de se dire que en fait chaque parcours est différent et chaque point de vue est situé et ça peut, enfin voilà, une liberté pour certaines est une entrave pour d’autres, et donc voilà il y a effectivement en ce qui concerne le droit d’avoir ou de ne pas avoir des enfants c’est intimement corrélé à ta classe sociale, à ta couleur de peau, à ton orientation sexuelle, par le type de famille que tu veux avoir et tout quoi, c’est hyper intéressant.

Sara : Et comme quoi ce double standard qu’on peut souvent dénoncer en tant que féministe entre femmes et hommes, peut aussi exister entre femmes blanches et femmes racisées, entre femmes hétéro et femmes lesbiennes par exemple, donc comme quoi tout sujet, comme tu le dis, doit être abordé sous différents prismes pour pouvoir être compris dans son entièreté et qu’on soit pas dans, parce que finalement c’est toujours ce que les classes dominantes vont vouloir imposer, ça va être toujours une norme très euh, très normée (rires), enfin très très carrée, très précise, et aller à l’encontre de tout ce qui peut sortir de de ce cadre qui est hyper restreint en fait.

Bettina Zourli : Oui alors même que cette norme, en nombre, elle est pas forcément majoritaire tu vois, je reprends l’exemple bah alors la famille nucléaire donc papa, maman et idéalement deux enfants, tu prends les chiffres en France…

Sara : (très récent, déjà)

Bettina Zourli : Bah déjà c’est récent, et en plus de ça c’est pas du tout la, enfin ça représente absolument pas plus de la moitié de la population française ! Le nombre de familles monoparentales, le nombre de familles queer, le nombre de gens célibataires, enfin… En fait, c’est la norme, mais pas en nombre, et c’est ça qui est intéressant et en plus de ça je trouve que ça nous fait travailler notre empathie, donc l’empathie, enfin c’est un mot qu’on utilise beaucoup et je sais ça et la bienveillance bla bla bla mais c’est vrai pour moi, c’est un outil politique hyper fort, tu peux pas lutter pour les droits humains si tu as pas d’empathie pour les vécus différents, et comment avoir de l’empathie ? Bah il faut aller lire, là par exemple je suis en train de lire un livre trop bien qui vient de sortir qui s’appelle La charge raciale donc de Douce Dibondo, qui est une journaliste (tous ces articles, à chaque fois que je la lis je suis là “mais waouh trop, c’est trop intéressant !”) et en fait moi je ne subis pas le racisme, je suis une femme blanche et j’ai dû subir le racisme une fois dans ma vie à cause de mes cheveux, enfin voilà en gros les gens supposent des choses sur mes origines tu vois, enfin mais il se trompent tout le temps d’ailleurs, et voilà mais donc en fait je ne sais pas ce que ça fait dans sa chair de vivre le racisme au quotidien et ben en fait ça me paraît logique, du coup, en tant que féministe, de lire beaucoup de récits de personnes racisées pour comprendre en fait ce que ce qu’elle vivent et là franchement La charge raciale c’est hyper clair, c’est très documenté et en même temps elle parle d’expérience vécues donc c’est génial quoi.

Sara : Ce que tu me dis, ça me rappelle une citation que j’aime beaucoup de bell hooks qui dit que “la véritable solidarité politique c’est d’apprendre à lutter contre les oppressions qu’on subit pas soi-même”…

Bettina Zourli : … mais c’est ça ! A fond !

Sara : Et cette phrase, je la trouve très belle et je pense que c’est ça qui devrait régir nos pensées… 

Bettina Zourli : De ouf ! Bah ouais, et que là en fait on est arrivé·es dans un moment (après je pense pas qu’on puisse en vouloir aux gens de pas réussir à lutter pour des choses qu’ils peuvent pas imaginer, parce que ça dépend aussi de bah de ton quotidien) et en fait on est tous et toutes acculé·es euh quand même des crises multiples qu’on est en train de vivre, c’est-à-dire financière, enfin juste des crises de foi (f-o-i, pas de foie !) mais vraiment de foi en l’avenir et tout ça donc c’est aussi compliqué mais en tout cas c’est un exercice qu’on se doit, je pense, d’essayer de faire donc en écoutant des gens alors qu’ils vivent pas la même chose que nous c’est crucial, dans notre capacité à s’organiser collectivement en plus.

Sara : Et puis finalement c’est un cheminement, c’est un parcours : tu disais que tu es rentrée dans ces questionnements féministes par un prisme, par le prisme du choix de la non-maternité, et du coup petit à petit, au fil de tes lectures, de tes écoutes, etc. ça t’a ouvert ; enfin, pour moi c’était aussi, c’était pas forcément ce sujet-là par lequel je suis rentrée, mais, pareil, on s’ouvre à différents sujets et à différents prismes grâce à… peu importe, il y a un point d’entrée.

Bettina Zourli : Ouais tout à fait, et c’est important de pas rester que dans un entre-soi justement, parce que, alors, c’est plaisant moi j’ai besoin de, par exemple je vis en coloc’ avec deux femmes féministes et j’en ai besoin sinon je pense pas que j’arriverai à lutter autant sur plein d’autres choses, à être en manif, à organiser des actions, etc. enfin, mais parce que j’ai des endroits où je sais que j’ai pas besoin de m’expliquer en permanence, de faire de la pédagogie en permanence, parce que on sait à quel niveau on est, on se connaît bien et tout mais, en tout cas on a aussi besoin d’altérité justement, c’est hyper important quoi.

Sara : Il y avait une question des auditrices qui revenait assez souvent : en fait comment savoir, quel que soit le choix qu’on fait, que ce soit d’avoir des enfants (un ou plusieurs) ou de ne pas en avoir, quand c’est un choix, comment est-ce qu’on peut être sûr·e (rires), peut-on être sûr·e de pas avoir de regrets ou de remords ?

Bettina Zourli : Ouais très bonne question (rires) !

Sara : Grande question, vous avez 4 heures ! (rires)

Bettina Zourli : C’est vraiment une question qui revient hyper souvent, mais c’est normal je pense, parce qu’en fait je sais que moi on me pose souvent cette question parce que j’ai un discours qui est très affirmé sur le fait que ça fait plus de 15 ans que je dis que je veux pas d’enfant et parce qu’en fait ça c’est moi, c’est mon ADN, c’est dans mes gènes, je sais pas comment l’expliquer quoi, et par contre sur la question du regret, déjà je parle dans le livre aussi du regret parental parce que c’est important de d’ouvrir la parole dessus parce que ça montre des dysfonctionnements structurels, et comment savoir ? Mais en fait, on peut jamais savoir ça, pour le coup c’est toujours hyper décevant quand on me pose la question, je suis là “mais on peut jamais savoir !” Même moi, je suis hyper sereine avec le fait de dire si ça trouve dans 20 ans bah peut-être que j’aurai un désir d’enfant, on sait pas ! Alors, je suis à peu près sûre que non, mais en vrai on sait pas mais par contre je me dis en fait je pense plutôt que si j’ai un désir qui se crée dans 20 ans ce sera plutôt de la nostalgie, c’est-à-dire par exemple là j’ai une de mes meilleures amies qui a un enfant qui a 1 an et ben c’est vrai que dans 20 ans elle aura un adulte avec elle, tu vois de 21 ans, et peut-être qu’elle aura créé une relation de ouf avec, notamment peut-être qu’elle sera encore en couple, enfin je sais pas, peut-être qu’ils auront une famille géniale que j’envierai trop, et je pense que ce sera pas de la jalousie, ce sera pas du regret, ce sera un peu cette nostalgie de me dire “bah c’est vrai que moi j’ai jamais connu ce genre de relation humaine” mais pour le coup, moi en 20 ans, je vais créer aussi plein d’autres choses qui font que je vais certainement vivre plein de trucs incroyables et donc moi je suis assez sereine avec le fait de se dire alors (la banalité que je vais sortir !) on n’a qu’une vie (voilà désolée (rires)) mais effectivement chaque choix définitif qu’on fait ouvre le terrain ouvre la porte à un regret potentiel en fait, on peut vivre avec le regret, c’est pas grave, et d’ailleurs il y a plein de gens, plein de mères qui parlent du regret maternel, et elles vivent quand même avec ce regret, et justement elles font en sorte de le mettre en mots, de le signifier et peut-être soit de le régler (parce que le regret peut aussi s’estomper de soi-même), soit on peut en faire autre chose, c’est-à-dire qu’on peut regretter mais par exemple, je me dis : imaginons que j’éprouve un regret très très fort, bah je pense que je ferai tout, je mettrai plein de choses en place pour vivre avec des enfants.

Sara : Oui c’est ce que j’allais dire : parce qu’on peut se dire ok peut-être que notre horloge biologique fera qu’on on pourra pas tomber enceinte à un certain moment, mais si on a un désir très très très fort d’enfant, on peut imaginer une configuration de co-parentalité avec des ami·es, avec des, je sais pas, une nièce qui a envie de tomber enceinte, enfin, il y a plein de façons d’élever et d’être dans la vie d’un enfant, et de créer une relation particulière avec elle ou lui.

Bettina Zourli : Exactement et d’ailleurs à ce sujet moi je renvoie toujours les personnes (qui sont dans cette peur du regret) vers des discours de familles de personnes LGBTQ qui ont mis en avant le concept de famille choisie et notamment qui n’ont pas attendu qu’on leur donne le droit de faire famille autrement pour le faire…

Sara : Exactement.

Bettina Zourli : … et en fait qui, justement, nous permettent de faire un peu éclater cette norme qu’on a autour de la famille nucléaire, donc cette institution qui en fait nous aveugle beaucoup, qui nous empêche de la créativité autour des noyaux de solidarité parce que donc “nucléaire” ça vient noyau, mais en fait ton noyau de solidarité et d’amour il peut prendre plein de formes différentes et moi je sais que il y a plein de gens euh quand je dis que je veux pas d’enfant sur les réseaux sociaux tu as beaucoup de personnes qui me disent “oh là là c’est trop triste tu vas mourir seule avec tes chats”… 

Sara : (rires)

Bettina Zourli : Bon alors, déjà ça me dérange pas plus que ça, mais en plus de ça je suis là mais… vous êtes d’une tristesse absolue à oublier que on peut avoir des solidarités autres ! C’est-à-dire que donc, encore une fois, mes colocs donc il y en a une que je connais que depuis 2 ans, l’autre ça fait 17 ans qu’on se connaît !

Sara : Ah oui ! 

Bettina Zourli : Enfin, en fait on est quasiment sûres qu’on va finir notre vie ensemble tu vois (rires), je veux dire, il y a eu plein de moments où on habitera certainement plus ensemble, enfin voilà, il y a eu plein de fois où on était, moi j’habitais sur d’autres continents et on s’est pas donné de nouvelles pendant un an mais peu importe, comme des familles biologiques en fait, parfois tu donnes pas de nouvelles et puis tu te retrouves et tout, et en fait je me dis mais ces gens, qui me disent que parce que j’ai pas d’enfant je vais mourir seule, ça me rend triste pour eux, de se dire tu as aucune ouais créativité pour te dire ben peut-être que, enfin je sais pas moi, j’imagine une coloc’ avec mes ami·es en fait parce que déjà en termes de solidarité financière, solidarité d’organisation et tout, ça va être important, je pense qu’on va vivre des choses pas chouettes, qu’en 2050-2060 ça va pas être fun hein, la vie, quand même, donc va falloir avoir des réseaux de solidarité un peu plus forts que juste la famille nucléaire quoi, donc ouais, moi je me dis qu’il y a plein d’autres manières et d’ailleurs je redonne une autre reco de lecture (vous allez sortir avec une pile à lire, laisse tomber !) c’est Faire famille autrement de Gabrielle Richard qui est génial, que je cite beaucoup dans mon livre aussi. Trop trop bien, voilà.

Sara : Et justement, là on parlait d’autres modèles de parentalité et de liens différents avec différentes personnes ; dans les milieux anglo-saxons on utilise beaucoup cette expression de “it takes a village” (“ça prend un village, on a besoin d’un village pour élever un enfant”) et on parlait en tout début de l’épisode de comment le langage crée la pensée mais aussi inversement et je me dis c’est vrai, c’est marrant en français je crois pas qu’il y ait d’expression similaire ou équivalente (alors peut-être que je la connais pas) mais je me dis que c’est peut-être aussi révélateur de cet individualisme qu’on vit dans nos —alors, je vais parler pour la France, l’Europe peut-être, les pays francophones en Europe.

Bettina Zourli : L’Occident très capitaliste en tout cas. Mais justement moi je sais que bah “il faut tout un village pour élever un enfant” c’est une expression qui existe mais justement moi j’en ai beaucoup parlé avec une créatrice de contenu et du podcast Tant que je serai Noire qui s’appelle Tsippora Sidibé et en fait on a pas mal donné des conférences ensemble, on travaille ensemble souvent et justement la dernière conférence que j’animais c’était elle qui était au micro et elle me disait que donc elle, elle est d’origine africaine et en fait la notion de village c’est juste dans la manière de fonctionner, de sa famille, s’organise autour du village et que elle, ça la choque beaucoup et sa famille, notamment parce qu’elle est française, mais ça la choque énormément de voir l’individualisme qu’elle ne connaît pas dans sa famille en fait et que du coup c’était aussi quelque chose qui était bah qui était très présent et que l’expression “il faut tout un village pour élever un enfant” elle, elle l’a toujours entendue et que effectivement en fait ça s’organise beaucoup, moi j’ai une de mes meilleures amies qui est d’origine marocaine et elle me faisait, on parlait de ça il y a pas longtemps, on faisait un parallèle sur le fait que bah il y a beaucoup de pays hors Occident où en fait les enfants sont vus comme une propriété collective enfin comme une responsabilité collective (pas propriété, pardon, c’est pas le mot que je voulais dire, désolée !) mais responsabilité collective dans sens où par exemple le village dont sa famille est originaire, un enfant qui joue dans la rue, c’est la responsabilité de tout le monde, tout le monde…

Sara : De tout le monde : les voisins, les tantes…

Bettina Zourli : Alors moi j’habite à Bruxelles mais… exemple de tous les gens qui, enfin, un enfant qui joue dans la rue, c’est hyper dangereux pour lui (rires), c’est horrible, tu vois genre personne va faire attention, les gens vont trouver ça peut-être un peu bizarre, un enfant, tout seul, dans la rue, qui joue avec ses petits copains…

Sara : Et JUGER les parents : où sont les parents, où est la mère ?!

Bettina Zourli : Ouais, ouais ouais, mais ouais il y a vraiment ce truc de c’est une vision très européo-centrée, très occidentale, très capitaliste, je sais pas quel terme donner parce que je sais pas quelle est la limite géographique ou culturelle de ça, mais en tout cas il y a plein de parties du monde où juste c’est pas du tout la norme, moi j’ai habité au Cambodge pendant longtemps, et mes voisins, enfin en fait, on fermait jamais les portes des jardins tu vois, c’est que mes voisins, les enfants ils jouaient dans mon jardin mais il y avait pas de débat en fait. C’était… tu vois, tu imagines ça en France ? 

Sara : Il y a un vrai réseau de solidarité, où justement les mères notamment ne sont pas livrées à elles-mêmes.

Bettina Zourli : Ouais alors par contre, c’est un réseau de solidarité était souvent très féminin quand même, donc notamment avec les grands-mères, il y a eu beaucoup de travaux en socio sur le rôle des grands-mères et notamment même des pré-historiens et pré-historiennes qui sont allés jusqu’à dire que l’espèce humaine n’aurait pas été ce qu’elle est aujourd’hui s’il y avait pas eu les grand-mères parce qu’en fait c’est grâce à elles que les enfants survivent parce qu’en fait c’est elles qui s’en occupent tu vois quand les mères sont occupées à faire autre chose (parce que les femmes, elles ont toujours travaillé, évidemment) tu vois et c’est hyper intéressant mais donc ouais ouais c’est vraiment, moi je pense qu’on gagnerait à se défaire de notre vision très occidentale de faire famille et de, encore une fois, de voir les enfants comme notre propriété individuelle de famille… 

Sara : Responsabilité ?

Bettina Zourli : Non non, là de propriété là, non pour plein de gens, plein plein de parents, je pense qu’ils voient leur enfant comme leur propriété.

Sara : Ah ! Oui tu dénonces, oui ok ! Oui, oui.

Bettina Zourli : Oui, ouais ouais ouais je sais qu’il y a plein de gens en mode tu peux pas (enfin, tu peux) ils sont incapables d’imaginer que leur enfant puisse être confié·e à quelqu’un d’autre ou juste être géré·e par d’autres personnes parce que c’est LEUR propriété tu vois, et ça on doit s’en défaire à tout prix je pense. 

Sara : Oui je pense que ça dit beaucoup sur leurs projections, sur un certain nombre de choses, d’abus qui peut peut exister, cette violence, justement, que tu dénonces, au sein de la famille nucléaire, qui existe dans un système patriarcal quoi.

Bettina Zourli : Tout à fait. 

Sara : Il y a une auditrice qui posait la question justement de comment être mère et élever ses enfants lorsque ton réseau, ton système de soutien, ton entourage (lorsque justement tu n’es pas seule pour l’élever) euh en fait quand tu as des principes différents, toi en tant que mère, et que du coup il y a j’imagine un, je sais pas s’il y a un conflit mais en tout cas des tensions de valeur ou de de façon d’élever, est ce que tu as discuté avec des personnes de ce sujet-là, est-ce que tu as un avis là-dessus ?

Bettina Zourli : Mhm, ouais c’est une question un peu… j’ai pas d’avis tranché dans le sens où je pense que en fait ça rejoint un peu ce qu’on vient de dire sur l’empathie, je pense que c’est un peu ça qui va permettre, en fait parfois ça demande beaucoup d’énergie effectivement de voir qu’il y a des incompréhensions, de voir qu’il y a des personnes qui fonctionnent complètement différemment mais en fait on sait jamais d’où viennent les gens, on vient tous et tout avec un bagage énorme, que ce soit de traumatismes, de trucs comme ça, et on essaie de faire ce qu’on peut avec tout ça et qu’effectivement c’est vrai que parfois tu vois bien que il y a des incompréhensions et que ça clash en fait quoi, donc bah ouais je pense que là-dessus il y a que… soit le fait de prendre le temps de faire de la pédagogie… d’avoir de l’empathie pour essayer d’être le plus utile possible en disant ben, je sais pas, donner des ressources à lire, à écouter enfin voilà, mais ça ouais ça prend du temps. 

Sara : Ouais, c’est dur. Est-ce que après, peut-être qu’une des pistes c’est aussi (sans non plus totalement évidemment couper les liens avec son réseau de soutien qu’on a, parce que c’est précieux) voilà, mais peut-être aussi par ce que tu disais tout à l’heure : construire son réseau de soutien avec une famille choisie, avec lesquels il y a peut-être plus de compatibilités ?

Bettina Zourli : Ouais, ça je suis aussi d’accord, c’est vrai que ça c’est quelque chose moi ça m’avait hyper choqué, il y a 3-4 mois je suis tombée sur une publication Instagram, c’était une citation d’un philosophe très connu mais dont je me rappelle pas le nom, euh voilà genre Jung ou un truc comme ça, enfin quelqu’un de connu quand même, qui disait en gros “on sait qu’on est adulte quand on a pardonné à ses parents” et alors ça, ça m’a saoû-lée ! Mais en gros il y a vraiment encore ça, cette idée qui persiste, que les liens biologiques sont indéfectibles, que tu dois tout à tes parents, moi je considère que on leur doit rien, déjà parce qu’on n’a pas choisi de venir au monde, donc évidemment si ça se passe bien, ça paraît logique que tu prennes soin de tes parents, que tu puisses, voilà, les accompagner par exemple, quand ils sont vieux, juste profiter de moments avec eux évidemment, mais en fait il y a tellement de gens qui grandissent dans des familles dysfonctionnelles qu’ils ont aussi le droit de couper les ponts et ça moi je suis vachement, il faut qu’on banalise aussi ce genre de discours de : c’est complètement normal et tout le monde a le droit de ne plus avoir de relations avec sa famille biologique quoi. S’ils font de la merde. Moi je sais que pendant des années, j’ai pas parlé à mon père parce que mon père tient des propos racistes (alors il est d’origine algérienne, donc c’est hyper marrant tu vois, mais c’est souvent lié, mais je je supportais plus), c’est-à-dire qu’à chaque fois que j’allais chez mon père, je sortais avec des crises d’angoisse, vraiment des trucs, je supportais des choses qui étaient, qui m’étaient insupportables, et au bout d’un moment je me suis dit “mais je comprends pas pourquoi je continue”…

Sara : Oui, tu vas pas t’infliger ça…

Bettina Zourli : Oui ça c’est, oui c’est débile ou autre exemple qui je sais que j’en ai parlé plusieurs fois et ça a fait vachement de bien aux gens, c’est que j’ai décidé de passer Noël toute seule l’année dernière : je me suis fait la meilleure soirée de ma vie, j’étais à Milan, parce que je gardais des animaux, donc j’ai passé un mois en Italie en décembre, et j’étais à Milan et je me suis fait un petit verre de Lambrusco avec une soirée, ben en fait j’étais en Zoom avec une pote, mais donc du coup on regardait des films, on a regardé Dirty Dancing je crois, et Love Actually mais franchement c’est un des meilleurs Noël de ma vie ! Alors que avant, ben avant je m’infligeais d’aller en repas de famille, auquel je me faisais chier parce qu’en fait je n’ai aucun atome crochu avec quasiment aucune personne de ma famille, on ne s’entend pas, pour ma famille je suis une extrémiste féminazie et voilà, enfin, donc bon, j’ai décidé d’arrêter les frais et de profiter un peu, de vivre ma vie comme je l’entends quoi, et ça je pense qu’on gagnerait aussi à le diffuser, c’est que on a le droit de faire ça en fait, et personne n’a à te juger si tu décides de pas passer Noël avec ta famille quoi.

Sara : Ouais c’est poser nos limites, nos choix, et s’écouter aussi, parce qu’on a tendance à suivre le rituel, la coutume, la norme, sans s’interroger justement sur ce que ça produit sur notre psyché, sur notre corps, sur nous, ouais.

Bettina Zourli : Exactement !

Sara : On n’est pas loin de la fin de cet épisode, j’aimerais bien qu’on aborde euh (on a parlé de plein de problèmes, on a dénoncé plein de trucs pas cool) comment on fait, quelles solutions tu proposes ? Bon, tu en parles dans ton livre, donc allez lire le livre si vous voulez toute la liste de plein de solutions que Bettina propose, mais quelles solutions tu proposes pour qu’on ait un véritable choix éclairé (quel qu’il soit), pour qu’on ait une parentalité juste, une parentalité safe ou pour une existence sereine sans enfant ?

Bettina Zourli : Euh bah il y a plusieurs éléments, effectivement, que j’énonce un peu dans le livre ; une des choses quand on pose la question il y a souvent des choses très différentes qui viennent selon le jour, mon humeur tu vois mais là, ce qui me vient c’est de revaloriser le soin de manière générale (ce qui est une thématique féministe très récurrente depuis des décennies), et de le dé-genrer, c’est-à-dire que le soin, donc le secteur du soin, que ce soit dans les métiers, c’est un secteur qui est très féminisé mais parce que depuis des millénaires on a fait une division sexuelle très stricte de la société avec les femmes à l’intérieur et les hommes à l’extérieur en gros (je résume, très fort mais bon voilà) et c’est vrai que du coup on on paye encore les peaux cassées de ça aujourd’hui, dans le sens où dans le cadre de la parentalité il y a encore ce truc de bah c’est quand même plus “naturel” pour les femmes de savoir s’occuper d’un enfant que les hommes…

Sara : “L’instinct maternel” ? (rires) 

Bettina Zourli : Ouais, il y a AUCUNE véracité scientifique à ça, on n’a pas d’hormone, on a rien de lié au fait de savoir changer une couche, ça n’a aucun rapport, alors certes il y a des changements hormonaux avec l’accouchement, par exemple l’ocytocine, le fait de s’attacher (donc l’hormone qui permet de s’attacher à un bébé) mais en réalité toute personne qui est en contact prolongé avec un nourrisson développe, au bout de moins de 3 jours, un taux d’ocytocine qui est similaire à celui de la personne qui a accouché, donc encore une fois il y a même pas de…

Sara : C’est hyper beau, ça ! 

Bettina Zourli : Mais oui, et ça me fait penser à la chose suivante c’est que pour moi un des moyens d’entériner ces discrimination lié aux femmes dans le désir d’enfant c’est que les hommes aient cette responsabilité égale donc, et ce temps (on parlait des maternités où les hommes sont exclus encore aujourd’hui), c’est à-dire que en gros, si on s’assure que dans la première semaine après l’arrivée du bébé, le père va avoir le même temps que la mère pour créer du lien, faire du peau à peau etc. en fait on va régler plein de choses, parce que du coup, ces hommes vont faire augmenter leur taux d’ocytocine, ils vont avoir envie de rester avec leur bébé, donc de s’en occuper, donc de prendre leur congé paternité, et donc c’est aussi quelque chose d’individuel ET de structurel, c’est-à-dire que moi je suis vraiment favorable au fait que le congé paternité doit être égal au congé maternité ; là je sais qu’il y a plein de réformes de prévues pour 2024 en France sur le congé de naissance mais pour l’instant on n’a pas de détail sur à quel prix, enfin, combien vont être payés les gens, bref ça va être la —non mais ça va être la couille de l’année ça encore, mais voilà, comme tout ce que le gouvernement d’Emmanuel Macron fait…

Sara : Oui comme les grandes causes de ces formidables quinquennats. 

Bettina Zourli : Voilà, et effectivement, après il y a aussi une autre notion que j’aborde, que j’aime bien aborder, c’est la représentation dans la culture pop, parce que moi c’est un sujet que j’ai pas mal traité dans mes études, enfin mon Master en études de genre, c’est comment on continue de stigmatiser les femmes en fonction du fait qu’elles ont des enfants ou pas, et notamment cette mise en compétition des femmes, en mode les childfreee dans les séries ou dans les films, c’est souvent des femmes qui sont des croqueuses d’hommes ou alors des carriéristes qui sont hyper méchantes, qui sont prêtes à tout pour arriver à leur fin, là où les femmes qui ont des enfants incarnent souvent plutôt la bonne héroïne quoi…

Sara : … et des briseuses de couple aussi !

Bettina Zourli : Ah ouais, ouais ouais ouais c’est ça, c’est vraiment c’est les outsiders qui foutent la merde en fait, les femmes qui veulent pas d’enfants, mais parce que tu vois comme elles ont pas d’enfants elles ont rien pour les canaliser les pauvres, voilà, donc on est un peu fêlées ! (rires)

Sara : Oui tu citais aussi une phrase de Mona Chollet qui dit “la femme sans enfants est une figure moderne de la sorcellerie”.

Bettina Zourli : Ouais, ouais ouais mais ça c’est, c’est ça, c’est vrai que dans l’histoire des sorcières c’est toujours intéressant de revenir à ce gros moment de l’histoire, quand même qui est pas si vieux hein, c’est-à-dire que la dernière sorcière brûlée c’était en Europe, c’était en Suisse je crois, et c’était en 1700 et quelques si je dis pas de bêtises

Sara : Ouais, y’a trois siècles.

Bettina Zourli : Voila, bon, c’est quand même à l’échelle de l’humanité c’est hier hein, quand même (rires), donc la barbarie misogyne ça va, plus c’était une période de soi-disant “Renaissance, on s’éloigne de l’obscurantisme du Moyen-Âge” non non : c’est la période la plus vénère, une des périodes les plus vénères pour les femmes quoi.

Sara : C’est, ouais, tu le dis dans ton livre, c’est un bon recyclage des mythes les plus misogynes de l’Antiquité. 

Bettina Zourli : Ouais ouais c’est horrible, donc voilà il y a clairement, la liste est encore très très longue pour savoir comment sortir de cette discrimination mais en tout cas bah déjà l’empathie, le fait d’écouter les discours des gens ; quand on veut pas d’enfant, d’écouter les discours des gens qui veulent des enfants et inversement pour les gens qui veulent des enfants d’écouter discours childfree plutôt que de se fier à des médias qui sont parfois bah qui juste en fait ont envie de nous laisser dans un clivage qui est complètement faux… ce sera déjà pas mal.

Sara : Oui, écoutez les personnes concernées sur leurs réseaux, leurs moyens d’expression, parce qu’on peut inviter des personnes qui vont faire un peu token sur un plateau télé, ne couper que des citations, et sorties de leur contexte les phrases peuvent prendre tout un autre sens…

Bettina Zourli : Ah ouais, les médias pour ça… moi ça m’est déjà arrivé hein, de voir une interview, c’est pas du tout ce que j’avais dit, je dis “oh là là mon dieu” mais bon… 

Sara : Merci beaucoup Bettina, est-ce que, est-ce qu’il y a quelque chose d’autre que tu voudrais partager, une question que je t’ai pas posée, quelque chose qui te semble important ou que tu as envie de dire ? 

Bettina Zourli : Ouais non franchement après pour tout le, le reste…

Sara : Lisez le livre ! (rires)

Bettina Zourli : Et bien plus ! Mais j’aborde beaucoup de choses et effectivement j’ai pas la prétention d’aborder, d’apporter des réponses à tout, mais plutôt d’ouvrir des questions…

Sara : … des pistes de réflexion…

Bettina Zourli : Et en fait c’est déjà un gros… je pense que si tout le monde avait le luxe de pouvoir se poser la question de son désir d’enfant ou non désir d’enfant, et d’avoir des outils pour y réfléchir en fait, on aura tout gagné quoi.

Sara : Oui, je suis d’accord. Et ben écoute merci beaucoup encore une fois, et à bientôt !


Bettina Zourli : Merci, bonne soirée !

Sara : Salut !

[musique de générique d’outro]

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[fin de la musique de générique d’intro]

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  1. […] société disséqués par des expertes : les questions de genre dans le sport (avec Anne Schmitt), réflexions et oppressions autour de la (non)maternité (avec Bettina Zourli), et le masculinisme, en ligne et ailleurs (avec Pauline […]

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