« Quand une féministe est accusée d’exagérer,
c’est qu’elle est sur la bonne voie. »
—Christine Delphy
Nous avons (évidemment) lu et adoré l’incontournable Génie lesbien, fameux essai d’Alice Coffin paru en 2020.
Avant d’être élue écologiste, Alice Coffin est journaliste média. Ce métier, peu considéré en France et bien valorisé par les rédactions états-uniennes, consiste à analyser comment l’information est traitée. Son travail est davantage reconnu outre-Atlantique qu’ici, où la presse brandit une soi-disant neutralité ou objectivité.
Voici quelques extraits du livre, une liste de citations pour rendre hommage au texte et vous donner envie de le lire intégralement, si ce n’est pas déjà fait.
« Ceci est le livre de combat d’une femme qui a été aimée, respectée, valorisée par des hommes depuis sa plus petite enfance. (…) Pas d’autres traumatismes à livrer que celui induit par le spectacle quotidien du comportement des hommes. »
Citations d’Alice Coffin à propos de l’activisme
« Le sexisme est l’angle mort des grands combattants de l’humanité. »
« L’activisme rend visibles les tréfonds des structures de domination que ces hommes prennent, d’habitude, tant de soin à dissimuler. »
« L’activisme,
l’activisme amoureux,
l’activisme en couple,
aide à vivre en Patriarcat.
Sans, je ne suis pas sûre que j’y parviendrais. Il permet de riposter, de ne pas se sentir impuissante. »
« Les activistes sont rares. Car le coût est élevé. (…) Le coming out est un acte de courage. Un acte de joie et d’amour. J’espère que ce livre contribuera à ce que les personnalités françaises le comprennent. »
Citations d’Alice Coffin à propos du journalisme et des médias français
« J’ai pris la mesure de toutes les histoires que je ne lisais jamais dans la presse, de toutes les personnes que je ne voyais jamais à la TV grâce à l’activisme. Le militantisme est une excellente école de journalisme. »
« Les médias jouent si peu leur rôle de contre-pouvoir lorsque le sexisme est à l’œuvre. Au contraire, ils en sont la grande force conservatrice. »
« En France, parce que je suis une journaliste lesbienne, on m’interdit de couvrir des sujets lesbiens. Aux US ce serait l’inverse. Nulle autre qu’une journaliste lesbienne ne pourrait traiter des thématiques lesbiennes. »
Alice Coffin cite son confrère Michael Boren, reporter gay en charge de la rubrique Discriminations au Philadelphia Inquirer : « Ne pas considérer les activistes comme des sources précieuses et valides conduit à mal faire son métier. »
« Les journalistes ont une peur panique de désigner certaines oppressions (racisme, sexisme, homophobie par ex.) par leur nom. Ils craignent de passer pour des militants. Surtout ne pas prendre parti. » Le tabou, instrument de violence herméneutique.
« De nombreux journalistes estiment qu’il ne leur revient pas de remédier aux maux de la société. Ils refusent d’infléchir les représentations qu’ils produisent. Ils devraient, a minima, considérer qu’oeuvrer à la visibilité des personnes LGBT est une exigence professionnelle. »
« Ne pas consacrer suffisamment d’articles aux femmes, aux LGBT, c’est les exposer aux fake news et discours mensongers. Il est plus simple d’attaquer ce qui n’est pas enquêté, ou jamais visible. Accountability : il faut exiger une politique de responsabilité des journalistes. »
« Aux USA, on a remis le prix Pulitzer aux articles du New Yorker et du New York Times sur Weinstein. En France, on a poursuivi en justice celle qui avait enquêté sur Baupin. »
« Plus une rédaction est diversifiée, moins elle oublie de transformer en info toute une partie du réel. » Quand « les médias ignorent un phénomène, ils y font obstruction. » Au New York Times par exemple, il y a une Gender Editor, qui veille à la représentation des femmes dans les publications.
« Si l’on considère que les médias sont responsables de l’écrasement des minorités, il faut riposter par les médias. » Et, comme le dit Marie de Cenival : « parler avec la même autorité que ceux qui prétendent incarner la norme ».
Les médias généralistes ne suffisent pas. « Une communauté (géographique, ethnique, politique, sociologique) qui n’a pas de presse est une communauté qui n’exerce pas son pouvoir à l’extérieur, et dans laquelle aucun contre-pouvoir ne vient révéler des dysfonctionnements internes. »
« Comme le cinéma (…) ou la politique, l’information en continu est une excroissance de la masculinité toxique. »
Citations d’Alice Coffin à propos de l’art
« L’art est un autre nom de la masculinité. Son puissant instrument de propagation. Là où ils voient des œuvres, je perçois l’ampleur de l’emprise masculine. »
Parité ? Le cinéma refuse l’idée des quotas : « Si un film est bon, il sera à Cannes, qu’il soit réalisé par un homme ou par une femme », dit le directeur du Festival.
Et l’exception culturelle, qu’est-ce si ce n’est un soutien à la production française, favorisant parfois des films médiocres ?
Weinstein, Besson, Polanski –Coffin évoque la complicité de l’industrie et de l’entourage : « Le silence de ces hommes de pouvoir [présidents des César ou responsables du Festival de Cannes] est une violence. Il fait écho, dans le vide, aux mensonges des agresseurs. »
« Selon un mécanisme déjà rodé par l’Église catholique, le Cinéma a fait des femmes des objets à massacrer, tout en les plaçant au sommet de ses clochers. (…) les films sont une arme fatale. (…) C’est pour ça qu’ils protègent tant le cinéma. »
« Harceler une femme est un moyen efficace de conserver ses privilèges, de l’évincer du jeu. »
« La conversation tourne autour de la soi-disant menace de censure contre le film. Mais quelle censure ? Si l’on souhaite vraiment parler d’art et de censure, qu’on s’émeuve des milliards d’œuvres de femmes, de paroles, de regards dont on est privé depuis des siècles. »
Que contiennent vos playlists, vos bibliothèques ? Et si chaque personne s’efforçait de consommer a minima 50% de productions de femmes ? “Le temps que j’ai, je le consacre aux femmes. Les productions des hommes sont le prolongement d’un système de domination. Elles sont le système.”
Alice Coffin cite Sarah Schulman : Pas de « pièce d’importance, de film à succès, de comédie musicale ou de best-seller écrit au sujet des droits des femmes. (…) La plupart des Américain·es n’ont aucune idée de comment les femmes ont pu s’organiser et gagner quoi que ce soit. »
Citations d’Alice Coffin à propos de l’hégémonie masculine
1789. Cette Révolution française et son « idéal d’égalité qui était en fait celui des hommes blancs. Le grand mensonge de l’universalisme de façade. »
« Le ‘neutre’, fidèle alibi du règne des hommes. La règle d’accord ‘le masculin l’emporte sur le féminin’ a le mérite d’être plus franche. (…) La compétence technique, le talent artistique ou la performance physique sont des standards fabriqués. Par les hommes. Pour les hommes. »
Elle cite Françoise Giroud : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. »
“Les critères pour déterminer ce qu’est un bon astronaute ou un bon film, un bon roman, un bon chef d’entreprise, un bon Premier ministre, un bon athlète, ont été établis à partir de représentations masculines, blanches, occidentales, hétérosexuelles.”
Citations d’Alice Coffin à propos de l’hégémonie blanche et hétérosexuelle
Alors que la Serbie, l’Irlande, le Luxembourg, l’Islande, la Belgique, la Norvège ont été dirigés par une lesbienne ou un gay. La France est 17e rang des pays comptant au moins 1 membre ouvertement LGBTQ au Parlement, avec 0,3% parlementaires auto-proclamé·es. En France, on dissimule. En 2019, on compte 8 député·es LGBT à l’Assemblée Nationale. Iels sont 45 à la Chambre des communes britannique.
Lors des Jeux Olympiques de Rio en 2016, ou de la Coupe du monde des footballeuses en 2019, des dizaines d’athlètes font leur coming out. Aucun·e n’est français·e. Politique, sport, business, médias ou cinéma, « les étagères du placard français sont bien garnies » écrit-elle.
« La France a attendu 2006 pour mettre à l’antenne, en prime time, un présentateur noir, Harry Roselmack. (…) Au Royaume-Uni, cette première avait eu lieu en 1973. »
Pour débattre il faut « du rationnel, du froid”. Coffin cite également Ketsia Mutombo : “Dans les systèmes de valeurs de la pensée européenne, il y a une diabolisation de l’émotion. Elle est opposée au cartésianisme. Cette diabolisation de l’émotion est une arme sexiste et raciste. »
« Les mécanismes de discréditation des militantes noires ou lesbiennes, antiracistes ou LGBT ont leurs spécificités mais se rejoignent dans leur rhétorique anti-communautaire. »
Citations d’Alice Coffin à propos du lesbianisme et de la lesbophobie
« Le mot lesbienne fait peur. Il est censuré. L’écrire, le dire, est une transgression, une émancipation, une révolution. (…) Le mot ‘lesbienne’, invisible partout ailleurs, est le plus visible des mots, le plus recherché, sur les sites de cul. »
« Le mot ‘lesbophobe’ reste très peu employé. [Or] si l’on ne nomme pas les attaques, elles n’existent pas, et on ne peut les combattre. (…) Ce qui définit la lesbophobie, outre le sexisme, outre l’homophobie, qui en sont des composantes, c’est l’invisibilisation. »
Contraception, avortement, marches des fiertés, Black Lives Matter, MeToo dans le cinéma français, criminalisation du viol… « Les lesbiennes sont toujours à la tête des mouvements sociaux importants », rappelle à Coffin Anne-Christine d’Adesky, journaliste et militante des droits des femmes et des personnes LGBT américaine, d’origine haïtienne.
« Être lesbienne, c’est faire son job d’humain. »
« Les hommes perçoivent sans doute très bien que les lesbiennes sont la plus lourde menace contre le patriarcat et le système de domination masculine. (…) Les lesbiennes mettent en péril la continuité de l’espèce telle que les hommes l’ont pensée. »
« Je n’aurais jamais eu autant envie d’être un garçon si j’avais eu accès à des histoires d’amour entre femmes, vu des héroïnes embrasser d’autres héroïnes au cinéma, lu des déclarations enflammées d’une femme à une autre. Je ne connaissais pas la possibilité du baiser lesbien. »
Alice Coffin cite à nouveau Anne-Christine d’Adesky : « Il y a un élément misogyne dans le fait de ne pas s’identifier comme lesbienne. Quand on choisit le mot queer, on ne voit pas la femme. On exclut la femme et la féminité à l’intérieur du mot lesbienne. Cela fait partie de l’invisibilisation des femmes.”
Citations d’Alice Coffin à propos des violences masculines
« Nous sommes gouvernées par des hommes qui foncièrement méprisent les femmes, ou du moins ne sont pas outillés pour voir le massacre fait aux femmes. »
« Les meurtres de femmes par leur conjoints ou ex-conjoints, c’est un Bataclan par an. 130 mortes. Plus même. Pourquoi le Ministère des Armées ou de l’Intérieur ne prévoient-ils pas de financements pour s’occuper des hommes violents ? Les hommes, leur masculinité, une menace pour la sécurité. »
« Nous sommes mortes, en couche, sous les coups de bite ou les coups de poing, sans trace, pendant des siècles et des siècles. La guerre des hommes fait des ravages. En silence. Les hommes la cachent, les femmes l’encaissent. Les mécanismes d’escamotage sont multiples. »
87 000 féminicides dans le monde en 2017, dont près de 60% par leur conjoint ou un membre de leur famille. “Cela signifie que chaque jour en moyenne, 137 femmes sont tuées par un proche.” Pour rappel, 1 femme sur 3 est battue, violée ou abusée au moins une fois dans sa vie (source : ONU Femmes).
Mais “ils refusent d’endosser leurs crimes. Nous n’obtenons même pas que l’hécatombe soit nommée et nos héroïnes célébrées”.
« MeToo leur casse les oreilles, littéralement. Les femmes, elles, savent depuis des millénaires ce qu’il se passe. Elles se taisent, elles encaissent, comme disait Cécile Duflot (…). On a derrière nous un temps infini de solidité face à ces atrocités et ces souffrances. »
“Il faut un mec pour élever un enfant. Même si les hommes ont abondamment prouvé, au cours des siècles, le peu de cas qu’ils font de leurs enfants, même si les maris, les pères violent et tuent, ne paient pas leurs pensions, n’assument pas leur part de charge mentale et de travaux ménagers, il est jugé indispensable qu’ils existent.”
« La construction des figures du père et de l’époux a obéi à une autorisation de la violence psychique et physique contre les femmes et les enfants dans la sphère dite privée. »
« Le cas de Bertrand Cantat n’a pas, en 2003, provoqué de réflexion sur les violences conjugales : une immense occasion ratée. Le traitement de la mort de Marie Trintignant illustre la complicité des médias dans l’entreprise d’anéantissement des femmes. » Depp/Heard ? Même rengaine.
« Les hommes ne tuent pas que leurs femmes. (…) Une étude menée par l’organisation Every Town For Gun Safety sur les tueries de masse aux USA entre 2009 et 2017 établit que dans la majorité des cas, l’auteur avait commis des violences conjugales ou tenait des discours de haine contre les femmes. »
« Après les attaques terroristes, les plateaux TV, déjà peu ouverts aux femmes, n’en accueillent plus aucune. 11 experts, zéro femme. [Ce sont] les plus grands serial killers ou tueurs de masse de l’humanité, mais ils se font confiance pour régler et commenter ces atrocités. »
« Nous, on sait la violence. (…) Les hommes doivent réfléchir à créer les conditions de leur écoute, et à la possibilité de ne pas devenir immédiatement sourds en entendant les flots de paroles, de récits horrifiques qui vont encore s’écouler, pendant des années et des années. «


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