Sur ce volet métier, Élodie Ems nous raconte son métier de peintre en bâtiment : son parcours, ses victoires, ses obstacles, ses conseils. En 2021, l’Observatoire des Métiers comptait 7% de femmes peintre en France.
- Qu’est-ce qui l’a amené à exercer ce métier ?
- A quoi ressemblent ses journées ?
- Quels sont ses moments mémorables ?
- Quels obstacles a-t-elle rencontré ? Comment y a-t-elle remédié ?
- Quelles sont les qualités utiles pour ce métier ?
- Quels conseils aux personnes qui voudraient devenir peintre?

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Ressources
- Divine Peinture, le site d’Élodie Ems
- Article de Batiweb sur la place des femmes dans le BTP en 2025, avec un lien vers leur dossier dédié « Bâtir, un métier qui s’accorde au féminin ? ».
- Données de l’Observatoire des métiers du BTP
- Batifemmes, annuaire d’artisanes du second oeuvre.
L’épisode a été enregistré le 25/09/2025.
La musique est composée par Gisula (https://gisula.com). L’interview a été réalisée par Florence, ainsi que le montage et le transcript. L’épisode a été préparé et revu par Sara et Florence.
Transcript de l’épisode
[musique de générique d’intro]
Sara : La Place des Grenouilles, c’est une association ET un podcast qui proposent des espaces de discussion et de réflexion pour déconstruire, ensemble, les normes de genre.
Florence : Au fil des épisodes, on vous propose :
- de revenir sur des oeuvres et événements qui nous ont plu,
- de découvrir des métiers à priori genrés,
- ou encore d’approfondir des sujets de société grâce à des expertEs de différents domaines”
Sara : Nous sommes Florence et Sara,
Florence : bienvenue sur La Place des Grenouilles”
[fin de la musique de générique d’intro]
—
Florence
Bonjour tout le monde, ici Florence. Aujourd’hui, on accueille Elodie Ems pour un volet métier. Elle est peintre en bâtiment depuis 13 ans.
Elle a créé son entreprise Divine Peinture, divinepeinture.fr, en 2021. Elle est née en Alsace, où elle a grandi avec un attrait particulier pour les activités manuelles, les belles choses et l’envie d’être utile. Bonjour Elodie Ems.
Élodie Ems
Bonjour, merci de me recevoir, ça me fait très plaisir.
Florence
Du coup, l’Observatoire des métiers du BTP comptait 7% de femmes peintres en 2021. Qu’est-ce qui t’a amenée, toi, à exercer ce métier ? Quel est ton parcours ?
Élodie Ems
C’est assez drôle parce que quand j’étais petite, je disais toujours à ma mère que je voulais faire un métier où je pouvais me salir les mains, sans vraiment penser tout de suite à la peinture. Mais c’est vrai que c’est quelque chose qui m’a toujours plu de base, la peinture, faire des dessins à la peinture, etc. J’ai une petite anecdote.
Quand j’étais en maternelle, on faisait de la peinture. Je ne sais pas si je me souviens ou si on me l’a raconté et que j’ai l’impression de m’en souvenir, mais on faisait une peinture d’automne. Je voyais tous mes petits camarades qui avaient les mains pleines de peinture, et pas moi.
Ça m’a énervée <rires>. Du coup, j’ai mis mes mains en plein dans le dessin pour avoir les mains sales <rires>.
Florence
Génial. C’est marrant parce que c’est vrai qu’il y a plein d’enfants qui font de la peinture, mais peu qui se disent « je vais devenir peintre ».
Élodie Ems
Après, c’est quelque chose qui est venu plus tard, on va dire, de vraiment être peintre. Comme j’aime effectivement les belles choses, l’activité manuelle, etc., quand j’ai grandi, je me suis dit « bon, je vais peut-être devenir plutôt décoratrice d’intérieur ». Mais à l’époque, il n’y avait pas autant de diplômes, de certifications, de formations, etc., qu’on peut trouver aujourd’hui sur Internet. Je me suis dit « qu’est-ce qui s’en rapproche le plus ? ». Je me suis un peu renseignée.
J’ai trouvé Les Compagnons du Devoir à Strasbourg. Je me suis dit « tiens, c’est intéressant, c’est un peu plus précis, plus dans la décoration, etc., que la peinture classique ». Je suis allée avec mes parents, toute jeune, à, je ne sais plus, je devais avoir 13 ans, quelque chose comme ça. Je suis allée à Strasbourg avec mes parents faire une réunion d’information. Malheureusement, la veille, ils avaient décidé qu’ils ne prenaient plus les peintres sans le CAP.
Florence
Ouch
Elodie Ems
CAP que je n’avais pas puisque j’étais encore au collège à ce moment-là. Je me suis dit « ce n’est pas grave, je vais quand même faire mon CAP et puis j’irai par la suite aux compagnons du devoir. On fait ça comme ça, ce n’est pas grave.» C’est comme ça que je suis arrivée finalement dans la peinture en bâtiment. J’ai eu la chance de trouver une entreprise qui était vraiment chouette. Il y avait déjà eu des femmes qui travaillaient dedans.
Il y a même eu à une période plus de femmes que d’hommes dans cette entreprise. Ce n’était pas quand j’étais là, mais on me l’a dit.
Florence
C’est fou. Tu sais à quoi c’était lié ?
Elodie Ems
Je pense que le patron était déjà un peu plus ouvert à l’époque. C’est vrai que je n’en ai jamais vraiment parlé avec lui parce qu’après, il est parti à la retraite.
Je pense que c’était le patron qui avait pour envie de faire plus de choses pour les femmes globalement. Peut-être qu’il a eu des candidatures qui étaient chouettes et qu’il s’est dit « allez, on prend des femmes. » Comme ça, c’était toujours très bien passé. Il n’a pas hésité.
Florence
C’est vrai que c’est la question inverse que je me pose en me disant comment ça se fait que dans les autres boîtes, il y a moins de femmes. Est-ce que c’est plus dur ? Est-ce qu’ils ont plus de mal à accrocher à ces profils-là ? C’est un autre sujet.
Élodie Ems
Je pense qu’on pourrait en parler pendant longtemps. Dans cette entreprise-là, l’avantage, et je m’en suis rendue compte, j’ai mesuré ma chance par la suite quand j’ai quitté cette entreprise où j’ai fait mon apprentissage, c’est que vraiment, j’ai été formée comme n’importe qui. Ils n’ont pas fait de différence parce que j’étais une fille.
Ils n’ont pas fait « oh là, attention, c’est une fille. » Ils n’ont pas dit « vas-y, c’est bon. » C’était vraiment très correct et très égalitaire, je trouve.
Florence
Tu as été accueillie normalement.
Élodie Ems
Oui, clairement.
Florence
Au niveau de ta formation, ça s’est passé comment ? En tout, tu as passé combien de temps dessus ?
Élodie Ems
En tout, j’ai fait cinq ans d’apprentissage dans la même entreprise parce que finalement, après le CAP, je ne suis pas partie chez des compagnons parce que je me sentais bien dans cette entreprise et je me sentais bien dans la vie comme ça. Donc cinq ans, j’ai fait mon CAP en deux ans. J’ai fait un diplôme qui s’appelle le BCP, Brevet de Compagnon Professionnel en un an qui est de même niveau que le CAP globalement.
Et ensuite, j’ai fait un BTM, Brevet Technique des Métiers en deux ans qui est équivalent à un bac pro.
Florence
En formation, qu’est-ce que vous apprenez ? Parce que du coup, c’est assez long. Et comme tu disais, c’est un métier qui peut être assez dévalorisé dans le sens « c’est facile de faire ça sans le déclarer ou avec des gens qui passent.» J’exagère. Ou comme nous, on est capable de tenir un pinceau à titre individuel, on ne se rend pas compte qu’on est capable de faire très mal ou très bien. Mais de toute façon, après, j’imagine, on s’en contente. Du coup, la formation se passe comment justement au CAP, au bac ? Vous voyez tout ?
Élodie Ems
Alors au CAP, c’est surtout les bases. Alors en sachant que le CAP, il y a aussi des matières générales, il y a maths, français, je crois qu’on avait de l’histoire, même si je ne dis pas de bêtises, et on avait sciences physiques. Non, je ne sais plus. Non, je ne crois pas qu’il y ait des sciences physiques. Si j’avais des sciences physiques, je m’excuse auprès de ma prof ou de mon prof de l’époque <rires>. J’ai oublié, je suis désolée, ça commence à faire longtemps <rires>.
Florence
<rires> C’était il y a longtemps, oui <rires>
Élodie Ems
Donc, il y a des matières générales, sauf pour ceux qui arrivent plus tard et qui ont déjà fait un cursus général au lycée ou qui ont fait un autre diplôme, qui ont déjà validé, disons, ces matières-là à ce niveau-là. Mais il y a aussi donc forcément de la technologie, comme ils appellent ça, où on est en atelier et où on fait des travaux pratiques en atelier. Donc, on apprend à enduire, on apprend à tapisser, on apprend à peindre.
Mais le plus gros de l’apprentissage se fait quand même en entreprise, sur le terrain, avec son maître d’apprentissage ou ses collègues qui nous apprennent. Et l’expérience, le fait de faire tous les jours, on s’améliore, on apprend, etc. Donc, en formation, on voit beaucoup de théorie et on fait aussi un peu de pratique.
Mais le plus gros de la pratique, ça reste quand même en entreprise. En sachant que moi, j’étais en alternance. Donc, j’avais trois semaines de travail en entreprise et une semaine en CFA par mois.
Et que des fois, il existe des formations où ils sont au lycée toute l’année et ils ont, à contrario du coup, des stages d’un mois entier dans les entreprises.
Florence
C’est des études assez longues au final, t’as commencé jeune.
Élodie Ems
Alors moi, c’est vrai que j’ai continué parce que je me plaisais bien dans l’entreprise et que la vie a fait que j’ai voulu continuer finalement quand même. Mais on peut très bien être peintre en ayant juste le CAP. Et il y a des peintres qui sont très bons dans ce qu’ils font et qui n’ont que le CAP finalement.
Florence
D’accord.
Élodie Ems
Donc, c’est pas le diplôme qui fait qu’on est bon ou pas.
Florence
Mais ça te donne accès peut-être à plus de possibilités sur ta façon de travailler, j’imagine ?
Élodie Ems
Mmmh. Alors, l’avantage qu’on a eu, c’est qu’en BTM, le dernier diplôme que j’ai fait, c’est qu’on a vu aussi comment gérer une équipe, de la gestion humaine, de la gestion de problèmes en fait. On a aussi appris à faire des devis, à faire des métrés, donc à calculer tous les mètres carrés pour justement faire ces fameux devis. On a appris ces choses-là qui m’ont quand même beaucoup aidée au moment où je me suis mise à mon compte parce que j’avais déjà les bases de ces choses-là, que si j’avais pas vu ça en cours, ouais, j’aurais été, je pense, complètement perdue dans l’immensité de ce qu’il fallait faire.
Florence
Ok. À quoi ressemblent tes journées depuis que tu es peintre ?
Élodie Ems
Alors, quand j’étais salarié, le matin, j’arrivais au dépôt et puis le patron nous disait où est-ce qu’on allait le matin, où on continuait notre chantier qu’on avait déjà commencé, puis on partait soit seul·e, soit avec des collègues, et puis voilà, on faisait ce qu’il y avait à faire : peindre, poncer, enduire, détapisser, enfin voilà, toutes ces choses-là du métier.
Et maintenant que je suis à mon compte, c’est pareil, sauf que je suis toute seule <rires>, donc c’est moi qui fais tout toute seule. Et ça veut dire aussi que si j’ai un rendez-vous, par exemple, je ne sais pas, j’ai un rendez-vous le matin, je ne vais travailler que l’après-midi par exemple, ou inversement.
Donc, je m’organise en fonction des rendez-vous et en fonction des chantiers qui arrivent.
Florence
Ok. Tu travailles toute seule tout le temps ?
Élodie Ems
Oui.
Florence
Est-ce que ça fait une différence dans ta façon de travailler quand tu étais en entreprise ou depuis que tu es à ton compte ?
Élodie Ems
Oui, ça fait une grosse différence quand même parce qu’effectivement, tout ce que je fais, je le fais toute seule, donc effectivement, je n’ai pas de collègues avec qui je travaille. Tout ce qui est forcément paperasse aussi, c’est moi qui le fais toute seule. C’est différent, mais d’une certaine manière, c’est plus…
Alors, reposant, oui et non. Reposant dans le sens où je n’ai plus à me soucier des relations avec les collègues <rires> et avec les patrons, à savoir… En fait, ne froisser personne, c’est ça.
Et donc là, comme je suis toute seule, j’ai déjà ça en moins. Avec mes clients, je n’ai vraiment pas de soucis, ça se passe vraiment très bien. Et finalement, c’est plus reposant dans ce sens-là, psychologiquement.
Et en même temps, ce n’est pas reposant dans le sens où toute la charge physique, c’est quand même moi qui la prends. Alors que quand on est à deux, on peut se relayer par exemple pour peindre un plafond, ou pour porter des affaires, on peut se relayer aussi. Alors que là, forcément, toute la charge physique, c’est quand même moi qui la prends tout le temps.
Florence
Parce que c’est vrai que dans les peintres, je voyais plutôt des équipes. Et visiblement, ça marche aussi tout seul, très bien.
Élodie Ems
Oui, c’est sûr que forcément, quand tu es en équipe, déjà, ça va plus vite. Tu peux te répartir les charges physiques. Mais oui, ça marche tout seul aussi.
Je connais plein de gens qui se sont mis à leur compte, qui travaillent tout seul. Après, il y a plein de choses qui existent maintenant. Il y a les échafaudages, il y a aussi plein de…
Je sais qu’il y a des exosquelettes pour alléger aussi les charges. Enfin, ils font vraiment des prouesses techniques, on va dire. Donc, c’est tout à fait possible de faire seul.
Après, moi, par exemple, je ne fais pas d’extérieur parce que forcément, monter un échafaudage tout seul, je ne peux pas. Monter des sauts de crépis, etc. Enfin, ça devient vite compliqué tout seul, même ne serait-ce qu’en termes de sécurité.
Donc, c’est vrai que je fais beaucoup d’intérieur. Et finalement, ça se passe bien, ça marche <rires>.
Florence
Top !
Élodie Ems
Est-ce que tu veux bien me raconter un moment dont tu es fière ? Alors, je ne sais pas s’il y a un moment en particulier, mais vraiment, à chaque fois que je fais un chantier et qu’à la fin, je me dis « waouh, quand même, c’est beau ! » <rires> Franchement, je suis toujours très fière et très satisfaite des fins de chantier parce que je trouve ça tellement chouette de voir l’avant, de voir l’après, de se dire « ok, c’est moi qui ai fait ça avec mes propres mains, avec mes propres compétences, etc.»
Et je trouve ça vraiment chouette aussi de voir que les clients soient contents. C’est vraiment, ça leur change leur maison, leur habitat. J’avais un client récemment qui m’a dit « purée, franchement, c’est trop beau, je me sens enfin chez moi !» Et ça fait trop plaisir ! <rires> Donc, c’est vraiment des moments comme ça où je suis fière et satisfaite. Il n’y en a pas un en particulier plus que ça.
Florence
C’est vrai que le lien avec l’habitat, il est important parce qu’à contrario, quelque chose qui est mal fait, on ne le sent pas bien, on va vite le ressentir.
Élodie Ems
Oui.
Florence
Est-ce que tu veux bien nous raconter un moment plus difficile ? Ou difficile ?
Élodie Ems
Pareil, il n’y en a pas forcément un en particulier, mais je dirais que c’était quand j’étais salariée. Les relations avec les collègues n’étaient pas toujours très faciles à gérer. Ou je ressentais beaucoup le fait que j’étais une femme et que vraiment, ça faisait une différence et que vraiment, c’était problématique d’une certaine manière parce que je n’étais pas traitée pareil, parce que s’il y avait une embrouille quelconque entre un salarié et le patron, souvent, c’est sur moi que ça retombait alors que je n’avais rien à voir là-dedans.
Donc bon, c’était un peu compliqué à gérer et c’est vrai que c’est aussi une des raisons, si ce n’est la raison principale pour laquelle je me suis mise à mon compte par la suite.
Florence
D’accord. Du coup, c’est plus des situations de sexisme… ouverts ou inconscients ? Dans le sens, quand tu dis que ce n’est pas le même traitement, c’est dans le sens trop couvant ou plutôt mettre à l’écart ?
Élodie Ems
Alors en fait, il y a eu un peu les deux. Je me souviens une fois où… C’est une anecdote que je raconte tout le temps parce que je trouve ça dingue.
Quand j’ai fini mon apprentissage, je suis partie en Moselle et j’étais dans une entreprise où j’ai pris un seau d’une camionnette pour le mettre dans une autre et j’ai un collègue qui m’a regardé avec des grands yeux et qui m’a dit « Mais tu sais porter un seau ?” <rires>
Florence
Oh mon Dieu <rires>
Élodie Ems
En fait, ça fait cinq ans que je travaille donc oui, heureusement que je sais porter un seau. <rires> Je ne suis pas là juste pour faire le pinceau tranquillement et puis c’est tout. <rires>
Florence
Comme dans les photos de magazine. <rires>
Élodie Ems
Oui, clairement. Il y avait beaucoup de sexisme inconscient, intériorisé, clairement. Mais il y en avait aussi de sexisme ouvert.
Mais je pense qu’ils ne se rendaient même pas compte de l’impact que ça avait sur moi et sur les femmes en général. D’accord.
Florence
Parce que là, c’est quand tu étais toute seule dans cette organisation, j’imagine. Là, on le ressent plus.
Élodie Ems
Oui, c’est ça. Parce que là où j’étais en apprentissage, on a toujours été plusieurs femmes et ça s’est toujours très bien passé. Et c’est vrai que quand j’étais seule, c’était différent.
Et souvent, j’étais la première femme à entrer dans les entreprises. Et j’ai souvent entendu aussi, que ce soit par les patrons ou par les collègues par la suite, qu’à la base, ils ne voulaient pas prendre de femmes et que… Finalement, ils m’ont pris moi parce que j’avais un beau CV quand même, il faut le dire <rires>.
Et finalement, comme ça s’était très bien passé, tout d’un coup, ils voulaient faire des équipes de filles. Et d’un côté, c’est bien. Mais d’un autre côté, je me dis qu’il a fallu quand même qu’on leur prouve le contraire pour qu’ils aient envie d’embaucher plus de femmes.
Et je trouve ça dommage.
Florence
Oui, c’est clair. Alors qu’un homme où ça se passe mal, on ne se dit pas qu’on n’embauche plus d’hommes.
Élodie Ems
Oui, clairement. Il n’y a pas de généralité. Dans le bâtiment, c’est quand même assez compliqué en termes de relation humaine, on ne va pas se mentir. Donc c’est vrai que les hommes, on ne leur fait pas tout ce tintouin là.
Florence
Est-ce que tu veux bien nous raconter des obstacles que tu as rencontrés? Et comment tu y as remédié, sur l’ensemble de la pratique? Ça peut être en formation, dans ton métier, dans la façon de travailler, ou les relations.
Élodie Ems
Je ne sais pas s’il y a vraiment eu un obstacle. Il y en a certainement eu des petits, à droite à gauche. Mais je pense que ce qui m’a aidé à surmonter les difficultés que j’ai pu avoir, c’est le fait déjà de croire en moi hein, d’avoir confiance en ce que je voulais faire, en ce que je valais, etc, même si ça n’a pas toujours été facile.
Et j’ai eu aussi la chance d’avoir des parents très soutenants, qui m’ont toujours accompagnée dans mes démarches. Et tout au long de mon apprentissage, j’ai aussi eu la chance d’avoir des…
Disons que quand j’ai eu des soucis en apprentissage au CFA, les profs étaient là, le personnel encadrant dont le CPE, que j’embrasse s’il passe par là <rires>, était très présent pour moi et je me suis vraiment sentie entourée et “protégée”, si je peux dire ça comme ça. Je savais que s’il m’arrivait quelque chose, il y aurait quelqu’un pour m’aider. Les difficultés que j’ai pu rencontrer, c’était surtout par rapport aux autres, à mes camarades de classe, surtout en première année de CAP.
Mais je pense que j’ai pu y remédier grâce au soutien des gens qui m’entouraient, et j’ai su demander de l’aide quand il le fallait aussi.
Florence
Du coup, le cadre compte beaucoup.
Élodie Ems
Ouais
Florence
Et par rapport à tes camarades, tu étais la seule femme en CAP, c’est ça ? En première année ou vous étiez…
Élodie Ems
La première année, on était deux classes de CAP dans la peinture et il y avait une fille dans chaque classe.
Florence
Ouch
Élodie Ems
Et je ne sais pas pourquoi ils ont fait ça ! <rires>
Florence
Ils se sont dit qu’ils allaient répartir… ?
Élodie Ems
Soit ils se sont dit qu’ils allaient répartir, soit peut-être ils se sont dit, ah, deux filles… Je ne sais pas, peut-être qu’il y a cette idée encore que si on met deux filles ensemble, ça va créer des problèmes, je n’en sais rien.
Florence
Ah ?
Élodie Ems
Franchement, je ne sais pas. Ça ne m’étonnerait pas. Je ne veux pas jeter la pierre à quiconque, mais ça ne m’étonnerait pas.
Florence
C’est une hypothèse.
Élodie Ems
Ceci dit, on était toutes les deux toutes seules dans notre classe et finalement, en deuxième année de CAP, on m’a switchée de classe parce que dans celle où j’étais, ce n’était juste pas possible. Je m’en prenais plein la gueule tout le temps. C’était vraiment compliqué pour moi.
En plus, j’ai commencé en CAP, j’avais 14 ans. L’année de mes 15 ans
Florence
T’étais toute jeune…
Élodie Ems
J’étais toute jeune. La plupart, ils avaient déjà 16-17 ans, des fois 20.
Vraiment, j’arrivais dans un terrain pas très…<rires>. Un terrain un peu hostile.
Florence
C’est un âge compliqué, oui. Du coup, ils étaient ouvertement hostiles envers toi ?
Élodie Ems
En fait, il y avait ce côté un peu de, oh là là, c’est une fille, ils ne savaient pas trop comment se comporter, ou ils ne m’intégraient pas tellement. Je ne me suis pas vraiment fait harceler à proprement parler, clairement pas, mais disons que je sentais que je n’étais pas intégrée et que le fait d’être une femme, ça créait vraiment de la distance.
Florence
Le harcèlement, si c’est de façon répétée, souvent, on n’ose pas trop mettre ce terme, mais ça arrive très souvent, même si ce n’est pas la même personne, d’être la cible. C’est chouette que le personnel enseignant ait été soutenant, et tes parents aussi !
Du coup, on est d’accord, il n’y a pas d’antécédent dans le secteur, dans ta famille ?
Élodie Ems
Non, et c’est très drôle que tu me poses cette question, parce que souvent, les gens me posent la question de « Ah, mais du coup, votre compagnon, il est peintre aussi ? » Alors que pas du tout <rires>. Il n’est pas du tout dans le bâtiment !
Ou alors « Ah, votre père est peintre ? » Bah non <rires>. C’est vrai que souvent, les gens font un peu ce lien-là, alors que pas du tout.
Mon père, par exemple, il a toujours eu des grands projets pour moi, mais il s’est toujours adapté à mon vrai parcours. C’est-à-dire qu’au début, il voulait que j’aille faire un Abibac, donc le bac allemand, parce que j’étais bilingue, depuis la maternelle. Donc, il m’imaginait déjà faire un Abibac, puis ensuite partir en Allemagne ou en Suisse ou je ne sais où.
Finalement, quand je suis partie en apprentissage, il a toujours été derrière moi, il m’a toujours soutenue. Et il me voyait déjà faire de la maîtrise, devenir une très grande cheffe d’entreprise.
Florence
C’est ce que tu es aujourd’hui.
Élodie Ems
Oui, oui.
Florence
Par un autre chemin.
Élodie Ems
Par un autre chemin <rires>. Mais donc voilà, il a toujours eu des grands projets, mais toujours en fonction de ce que moi, j’avais décidé. C’était plutôt drôle.
Florence
Est-ce qu’il y a des choses que tu as faites et que, du coup, tu ne regrettes pas ? Dans le sens, ah ça, j’avais vraiment eu raison d’agir comme ça ?
Élodie Ems
De continuer dans la peinture. Parce qu’il y a plusieurs fois où je me suis dit bon, est-ce que je continue ? Est-ce que je continue pas ?
Parce qu’en plus, à ces âges-là, des fois, on est un peu indécis. Mais c’est vrai que je me suis accrochée, malgré tout, et j’ai continué. Et je pense que la meilleure décision que j’ai pu prendre, c’était justement de me mettre à mon compte.
Parce que franchement, ça m’a changé la vie. Ce n’était pas facile, clairement pas, mais ça m’a vraiment changé la vie.
Florence
D’accord. Du coup, tu as eu des doutes à un moment ? Parce que du coup, quand on t’entend, dans ton discours, on se dit “Ouah… En fait, à 5 ans, elle savait déjà ce qu’elle voulait faire. Elle n’a jamais dévié.”
Élodie Ems
<rires> C’est vrai que ça peut paraître comme ça, mais en fait, non, clairement pas. Honnêtement, à chaque fin de diplôme, je me suis posé la question “Est-ce que je continue ?”
“Est-ce que je ne fais pas autre chose ?” Parce que des fois, j’en avais un peu marre et donc je voulais partir sur autre chose. Et puis finalement, je me suis dit “bon, allez, vas-y, je continue et puis on verra bien si au fil du temps, j’ai envie de faire autre chose ou pas”.
Non, non, j’ai clairement douté plein de fois et même en me mettant à mon compte. Avant de me mettre à mon compte, je me suis dit “non, mais je ne me mettrais pas à mon compte, c’est trop compliqué, etc”. Et finalement, je me suis mise à mon compte parce que je n’avais plus vraiment le choix et encore là, je doute, même encore maintenant, 4 ans après, des fois, je me dis “mince, est-ce que je n’ai pas envie de faire autre chose alors que j’adore ce que je fais ?”
C’est vrai que physiquement, c’est quand même lourd, mais voilà, je doute, clairement. Je sais que j’aime faire ça et que ça me fait plaisir, etc. Mais il y a plein de choses qui rentrent en compte et donc, non, il y a plein de fois où j’ai douté, où j’ai failli arrêter, oui, clairement <rires>.
Florence
D’accord, comme tout le monde en fait, en termes de métier.
Élodie Ems
Oui <rires>
Florence
Donc, tu es restée sur ce chemin-là. Quelles sont les qualités utiles pour ce métier ?
Élodie Ems
Je pense qu’il faut déjà avoir envie de faire les choses bien, parce que mine de rien, on travaille chez les gens. On n’est pas juste à faire des choses dans un entrepôt et puis en fait, on ne voit jamais les clients, et finalement, tant pis. Là, on est vraiment chez eux, on rentre dans leur intimité.
Je pense qu’il faut aussi avoir une part de respect en fait pour les lieux qu’on rénove parce que c’est chez des gens quoi, c’est les appartements des gens, c’est là où ils vivent, c’est leur intimité, machin, donc ouais, du respect, avoir envie de faire les choses bien, être organisé parce que c’est important aussi de savoir gérer par exemple les temps de séchage entre deux choses pour ne pas se retrouver bloqués, savoir aussi comment gérer, maintenant que je suis à mon compte, gérer les différents chantiers, comment les organiser, etc. Organisation, respect, envie de faire les choses bien et ouais, je pense que c’est déjà des belles qualités pour faire le métier.
Florence
Tout à l’heure tu parlais de… bah du coup effectivement c’est physique comme métier, du coup tu fais beaucoup de sport à côté pour t’entretenir ? Enfin j’avais entendu une kiné qui disait que les déménageurs par exemple, on pense qu’ils sont juste super forts, en fait ils doivent travailler trois fois plus à côté pour faire en sorte que ce soit facile au travail parce que sinon à un moment il y a un contre-coup.
Élodie Ems
Ouais alors, j’avoue que… Hum, je faisais de la danse, ce qui n’est pas non plus hyper musclant pour la peinture on va dire, donc je pense pas que ça ait joué mais disons que je pense que, comme j’ai commencé à travailler tôt, mon corps s’est vite adapté et comme j’ai jamais arrêté de travailler là-dedans, les muscles se sont faits aux endroits où il fallait qu’ils se fassent quoi. Je pense. Après je suis pas kiné <rires>, mais je pense que c’est ça, je fais pas tellement de sport à côté.
Florence
D’accord.
Élodie Ems
Bon je marche etc mais je fais pas de sport particulier spécifiquement pour ça quoi. Il faudrait que je me muscle un peu plus le dos, c’est vrai. Mais voilà, le corps s’adapte en fait, il faut juste faire attention à ne pas se faire mal.
Donc écouter son corps et faire attention de ne pas dépasser les limites.
Florence
Ça marche. Tout à l’heure tu as dit que dans la création de l’entreprise c’était dur, qu’est-ce qui était difficile ? C’est dans le sens avoir les informations ? Est-ce que tu veux bien détailler ce que tu voulais dire ?
Élodie Ems
Alors c’était dur dans le sens où je mettais les pieds dans quelque chose que je connaissais pas du tout, parce que finalement créer une entreprise c’est pas juste faire ses chantiers, il faut aussi gérer la compta, la paperasse, les assurances, les devis, les factures etc. Donc c’est vrai que j’ai un peu plongé dedans <rires>, sans trop savoir comment ça se passait, puis j’ai appris au fur et à mesure, j’ai appris sur le tas, j’ai fait des erreurs évidemment, et je les ai rattrapées. Je crois qu’il existe des formations pour apprendre à… quand on crée son entreprise, pour apprendre à gérer un peu le plus gros tout de suite.
Florence
Comment tu trouves des clients et des clientes ?
Élodie Ems
Bah écoute, c’est du bouche à oreille, ni plus ni moins, parce que j’ai mon site internet, mais c’est surtout pour que je puisse montrer mes réalisations aux clients, c’est pas ça qui m’apporte des clients, clairement pas. C’est du bouche à oreille parce que j’ai la chance d’avoir un chéri qui a une entreprise très grande, enfin qui travaille dans une entreprise assez grande et où il y a pas mal de monde, que je connais bien, etc.
Donc finalement du bouche à oreille, ça va assez vite.
J’ai rencontré une décoratrice aussi au tout début où je me suis mise à mon compte, qui m’a aussi donné plusieurs chantiers et par là on travaille encore ensemble actuellement.
Et c’est comme ça après le bouche à oreille qui s’est créé.
Florence
C’est le métier de l’avenir en fait, tu n’as pas besoin de chercher du travail.
Élodie Ems
Bah quand on travaille bien, ça va vite, ça va bien. C’est à dire que, surtout les artisans dans le bâtiment, c’est compliqué de, et je l’entends souvent, c’est compliqué de trouver un artisan sérieux, qui fait du bon travail, etc. Les gens quand ils ont quelqu’un qui travaille bien et qui est, qui est cohérent et sur qui on peut compter, bah ils gardent le contact et ils le donnent à d’autres personnes qui en ont besoin.
Florence
Parce que du coup là ton carnet de commandes, enfin en ce moment tu travailles, enfin cette semaine, tu travailles pas sur les chantiers parce que tu fais de la paperasse.
Élodie Ems
Ouais.
Florence
De ce que tu m’as dit. Mais du coup ton carnet de commandes, il est souvent rempli en avance, jusqu’à combien de temps à peu près ?
Élodie Ems
Alors ça dépend, mais c’est vrai que cette année par exemplen j’ai bossé presque non-stop en fait, donc bon ça c’était aussi dur de trouver des moments de repos parce que c’est important, je tiens à le préciser.
Florence
Ah oui c’est vrai, t’as tes congés à prendre. Mmm t’en as pas ?
Élodie Ems
En fait j’ai pas de congés payés à proprement parler, mais voilà. Mais sinon le carnet de commandes, là actuellement j’ai des chantiers qui sont prévus jusqu’à mi-mars pour l’instant.
Florence
L’enregistrement il y a en septembre, donc aujourd’hui on est le 25 septembre. Donc mi-mars, c’est dans plusieurs mois. Ah oui quand même. Ok. Tu peux choisir tes clients et tes clientes.
Élodie Ems
Ouais c’est la chance que j’ai, c’est effectivement de pouvoir choisir chez qui je travaille. Bon globalement j’ai pas trop de… je refuse personne, globalement il y a une fois où une dame elle m’a dit vous pouvez venir voir et donc je suis allée voir et elle m’a dit bon faudrait faire tout ça et finalement au fur et à mesure du rendez-vous elle me disait bon ça on le fait pas, ça on le fait pas, ça on le fait pas, ça on le fait pas. Je lui ai dit alors je viens faire quoi alors ? <rires> Donc finalement j’ai dit non c’est pas, c’est pas la peine, je sentais pas trop la dame, je me suis dit “bon allez je vais pas jouer, ça va plus m’apporter de problèmes qu’autre chose” donc. Mais globalement vraiment j’ai pas de problème avec mes clients, ils sont toujours très sympas et aux petits soins, souvent j’ai le droit à des petits thés, des petits gâteaux. Mais voilà.
Florence
Trop bien, parce que c’est vrai qu’on peut imaginer, sur des métiers où on va chez les gens, tu vois qu’on peut, surtout que t’es toute seule, que ça pourrait mal se passer des fois. Mais c’est vrai que vu que c’est du bouche à oreille…
Élodie Ems
Ouais ça aide à pas… c’est pour ça aussi que je veux pas faire trop de pub parce que déjà je suis toute seule donc ça pourrait vite me mettre dans une situation inconfortable en termes de charge de travail que je pourrais pas assumer toute seule. Parce que des fois il y a des gens qui ont des délais et que je pourrais pas forcément respecter.
Et pour éviter aussi que monsieur, monsieur tout le monde, je vais pas dire madame parce que les madames en général ça va <rires>, mais pour que monsieur tout le monde m’appelle juste parce que je suis une femme. Donc c’est vrai que je fais pas trop de pub aussi à cause de ça parce que je voulais pas tomber sur n’importe qui et comme ça je peux aussi savoir chez qui je vais quoi.
Florence
Quel conseil tu donnerais à des personnes qui voudraient devenir peintres ?
Élodie Ems
De s’accrocher ! De s’accrocher même si c’est que ce soit femme ou homme, clairement, parce que le bâtiment c’est pas un secteur facile. Parce que les métiers sont durs, les conditions de travail sont pas toujours faciles non plus.
Et c’est vrai que les relations humaines ne sont pas toujours très simples non plus. Donc c’est vrai qu’il faut s’accrocher. Si vraiment on a envie de faire ce métier là, on s’accroche parce que ça vaut le coup.
C’est vraiment un métier magnifique. On transforme les vies des gens. J’ai envie de voir ça comme ça en fait.
J’ai vraiment envie de prendre le côté de… On ramène du bonheur aux gens. Après c’est vrai que si on est dans une très grosse entreprise et qu’on fait par exemple que du blanc toute l’année dans des nouveaux logements, etc, c’est vrai que c’est un peu moins fun, je comprends.
Mais moi par exemple, je mets de la couleur partout, j’applique des panoramiques aussi. Les panoramiques, c’est des impressions sur toile. Donc ça peut être un paysage ou un dessin ou quelque chose et puis je le pose comme un papier peint quoi. Et donc ça embellit vraiment l’appartement, la maison des gens et je trouve ça tellement chouette. C’est tellement un beau métier et je trouve que c’est souvent…
De toute façon, tous les métiers de l’artisanat, je trouve que c’est souvent sous-valorisés. Je sais pas vraiment comment dire, mais c’est pas assez valorisé je trouve.
Florence
Valorisé dans la société ? Dans la façon dont on projette ces métiers-là ?
Élodie Ems
Ouais, parce que souvent on se dit que le bâtiment… Ouais, voilà quoi. Alors qu’en fait, c’est des métiers qui sont magnifiques.
Je dirais même un charpentier, un menuisier, un carreleur. Des fois, ils font des trucs de dingue. C’est pas juste appliquer du carrelage et puis hop, c’est bon, la salle de bain, elle est finie quoi.
Florence
Oui, c’est vrai qu’on peut imaginer ça.
Élodie Ems
Des fois, il y a des fresques. Ouais, mais c’est ça. Et pourtant, il y a tellement plus que ça. Et c’est pour ça, je trouve ça dommage que des fois, on dise aux gens qui sont peut-être un peu moins doués à l’école. Ah bah, t’iras en apprentissage parce que c’est pour les gens qui sont entre guillemets, entre gros guillemets, “nuls” à l’école quoi.
Ça, je l’ai entendu et je trouve ça tellement dommage parce que finalement, c’est tellement des beaux métiers et on mériterait tellement d’avoir des gens investis et qui aiment ce qu’ils font dans ces métiers-là, que des gens qui sont là par dépit quoi.
Florence
Parce que ce que tu dis par rapport à la créativité que tu peux déployer, ça c’est surtout depuis que tu es à ton compte. J’imagine que pendant le rendez-vous, vous échangez, tu proposes des choses aussi. C’est plus dans ce cadre-là en fait que tu peux t’épanouir ?
Élodie Ems
Oui, c’est ça. Après, moi, j’ai toujours choisi de travailler dans des plus petites entreprises parce que justement, je voulais éviter ces énormes chantiers de bâtiments neufs où c’est que du blanc sur du blanc, où ça ne m’intéressait pas tellement. Même si j’en ai fait hein, j’en ai fait durant mon apprentissage par exemple.
Mais depuis que je suis à mon compte, je prends vraiment plaisir à conseiller les gens sur les couleurs, à conseiller sur la disposition des couleurs, sur éventuellement un papier peint, un panoramique, et après, voir un peu… Je sais qu’eux, ils ont souvent du mal, les clients, à se projeter. Et moi, j’essaye de les rassurer du coup. Et à la fin, quand ils voient le rendu final, moi, je le visualise. Finalement, c’est plus tellement une surprise pour moi <rires>.
Mais c’est vrai que pour eux, souvent, c’est une surprise. Et ils sont là, ils font, ah ouais, c’est beau, franchement. Et ça me fait trop plaisir de pouvoir les accompagner comme ça, avec ces couleurs-là, etc.
Florence
En tout cas, ça donne très envie. Est-ce que tu sais où est-ce qu’on peut trouver des artisanes, même si je ne suis pas un monsieur bizarre <rires>, mais c’est aussi parce que quand on va chercher des artisans, souvent, on va nous présenter que des hommes. Et du coup, là, on voudrait justement aussi avoir des types différents. On ne sait pas tellement comment s’y prendre.
Élodie Ems
Ouais, j’avoue que moi aussi, sur ce point-là, je ne suis pas très informée, on va dire. Je sais qu’il existe des associations ou des trucs comme ça de femmes entrepreneurs. Maintenant, est-ce qu’il en existe de femmes artisanes ? Je ne sais pas. J’avoue, je n’étais jamais vraiment intéressée au sujet, parce que j’ai eu beaucoup de choses à gérer côté pro et perso, finalement, depuis que je me suis mise à mon compte. Mais je sais qu’il doit exister des réseaux comme ça d’entrepreneurs. Maintenant, est-ce qu’il y a des artisanes ? Je ne sais pas. J’avoue, je n’ai jamais rencontré de femmes électriciens ou électriciennes en tant que patronne. Je ne sais pas, en fait. J’avoue que sur ce point-là, je ne sais pas…
Florence
Sur l’électricité, il y en a encore moins. C’est 1% de femmes. Donc, ce n’est pas étonnant que tu n’en aies pas croisé.
Et apparemment, il y a pas mal de témoignages d’hommes qui disent que de toute façon, jamais de la vie, je confie un travail d’électricité à une femme.
Élodie Ems
Ah super ! <rires> Nous ne sommes pas assez doués de nos mains <rires>.
Florence
Non, mais c’est terrible de penser comme ça. J’ai lu une étude, c’était infligeant. Et du coup, j’ai entendu parler de BatiFemmes, mais je ne sais pas ce que ça vaut.
C’est le client et la cliente potentielle qui va payer pour avoir accès à un contact. Ce qui montre quand même la tension du marché, qui va dans le sens de ce que tu disais, où c’est difficile de trouver des bons et bonnes artisanes.
Alors, toujours dans l’étude que j’ai lue sur les observatoires, du coup, l’observatoire du BTP, il y a quelque chose qui disait à un moment, c’était que pour se lancer, il faut un certain budget. Alors, je ne sais pas sur le métier de peintre, est-ce que c’est le cas déjà. Mais en tout cas, dans le témoignage, c’était : “En fait, je n’ai pas eu de prêt parce qu’on me demandait la garantie d’un homme. Donc, j’ai dû demander à mon conjoint ou à mon père pour pouvoir décrocher un prêt à la banque” ce que j’ai trouvé absolument hallucinant parce que l’étude date de 2021. Oui, donc c’est super récent.
Est-ce que toi, tu as des sujets comme ça ou pas du tout ? Je ne sais pas si tu as…
Élodie Ems
Alors déjà, la plupart du matériel, je l’avais déjà de base parce qu’au fur et à mesure des années, je m’étais acheté mon propre matériel. C’est vrai que j’ai dû investir dans une ponceuse plus aspiratrice parce que ça, à chaque fois, c’était celle de l’entreprise dans laquelle je travaillais.
Donc, j’ai investi là-dedans. Je n’ai pas eu besoin de faire un prêt parce que j’ai vraiment pris, on va dire, pour débuter, j’ai vraiment pris le premier prix du Leroy Merlin. Enfin, vraiment un truc basique qui m’a vraiment aidée.
Et puis, le jour où elle est tombée en panne, j’ai dû… J’ai dû en acheter une professionnelle. Mais bon, depuis le temps, j’avais ma trésorerie, donc ça allait.
Par contre, c’est vrai qu’il a fallu que je m’achète une camionnette parce que j’avais une petite voiture qui, clairement, même juste mon échelle ne rentre pas dedans. Donc, j’ai dû effectivement acheter une camionnette. Et c’est là que ça a coincé, effectivement, parce que vu que c’était une camionnette d’entreprise et que je n’avais pas de trésorerie, mais qu’en même temps, si je n’ai pas de camionnette, je ne peux pas travailler pour avoir une trésorerie, c’était un peu compliqué.
Et encore une fois, j’ai eu la chance d’avoir mon père qui était là et qui a pu être garant.
Florence
Arf
Élodie Ems
Ben ouais, mais c’est terrible. Et ça m’a… Ouais, j’ai trouvé ça dingue aussi. Qu’il y ait besoin d’avoir son père ou un homme à côté pour pouvoir se lancer.
Et en plus, comme en 2021, j’avais 23 ans. Encore pire parce qu’une femme jeune, c’est compliqué.
Florence
C’est vrai.
Élodie Ems
Il y a des fois un manque de considération. On ne me prenait pas au sérieux. Alors, comme je savais exactement ce que je faisais, j’avais un peu d’assurance quand même.
Enfin bon, bref, c’était assez folklo, et il a fallu que mon père soit là parce que sinon, sinon, je n’aurais pas pu avoir ma camionnette. Alors que maintenant, le gars qui m’a vendu la camionnette, il m’a dit, “est-ce que vous pensez que vous aurez les sous pour la payer au fur et à mesure ?” Parce que j’ai fait une LOA, donc c’était techniquement leur camionnette encore.
Florence
Une LOA, donc c’est une location, oui.
Élodie Ems
Ouais, Location avec Option d’Achat. Et j’ai dû… Alors, je ne sais pas s’ils font ça pour tout le monde. J’ose espérer que oui, parce que sinon, ce n’est vraiment pas cool pour les femmes. Mais j’ai dû donner un calendrier en fait de mes chantiers potentiels. Franchement, je trouve ça fou parce que moi, je venais de démarrer, je n’avais pas encore des clients, je n’avais pas encore des chantiers pendant trois mois pour savoir combien j’allais rentrer.
Donc, en fait, on a fait un truc un peu au pif avec mon père. On s’est dit, bon, vas-y, on met ça là, on met ça là, on va dire que tu rentres ça, on va dire que tu rentres ça. Et c’est passé, mais je ne comprends pas à quel moment, comment en ouvrant une entreprise, on peut se dire, donnez-moi sur trois, quatre mois, combien vous allez faire de chiffre d’affaires.
Mais je ne sais pas, je viens d’ouvrir en fait.
Florence
C’est vrai que même en montant ta boîte finalement, tu as des obstacles sur le fait que tu commences, comme en étant salariée. Alors, tu n’as plus du tout ces problèmes aujourd’hui. Enfin, une fois que c’est lancé, j’imagine que…
Élodie Ems
Oui, une fois que c’est lancé, c’est lancé. Puis, il y a la trésorerie qui suit derrière et machin. Donc, ça va beaucoup mieux.
Et je n’ai plus eu besoin d’avoir ce genre de conversation avec des gens. Mais j’ai trouvé ça fou que je devais lui prouver d’une certaine manière que mon entreprise allait marcher. C’est-à-dire, comment moi, je peux le savoir ? <rires>
Florence
C’est vrai qu’ils demandent des garanties, mais la façon dont c’est fait, c’est bizarre.
Élodie Ems
Oui.
Florence
Tout à l’heure, tu as dit que quand tu as créé ton entreprise, c’est un moment où tu n’avais plus trop le choix. Qu’est-ce que tu voulais dire ?
Élodie Ems
En fait, il se trouve qu’après mon déménagement en Moselle, j’ai fait plusieurs entreprises dans lesquelles ça ne s’est pas très bien fini, où je me suis pris un peu plein de choses en pleine poire en termes de comment les gens se comportaient avec moi. Parce que justement, dans mon entreprise où j’étais en apprentissage, je n’ai jamais senti de différence. Alors que là, clairement, ça m’a un peu sauté aux yeu – pour être polie <rires>.
Donc, il y a eu tout ce cheminement-là pendant 3 ans où je me suis dit que ça fait beaucoup et je ne me rendais pas compte. Et je ne prenais pas de temps vraiment pour me reposer non plus psychologiquement parce que je ne me rendais pas compte que j’étais épuisée psychologiquement.
Puis à côté de ça, personnellement aussi, on avait des projets maison, etc. Il y avait plein de choses qui se passaient. J’ai changé de région, j’ai tout quitté. J’étais toute seule au début, etc. Donc, il y a eu plein de choses qui se sont accumulées. Et finalement, j’ai fait un burn-out.
À un moment donné où je me suis dit, bon, ok, là, je ne vais pas bien. Il faut quand même que je travaille parce qu’il faut quand même que je mange <rires>. Et je cherchais des jobs alimentaires pour me dire, ok, je vais faire ça le temps de me remettre sur patte et ensuite, je verrai bien comment je vais.
Du coup, j’avais pensé à arrêter la peinture parce que j’avais l’impression d’en être dégoûtée alors qu’en fait, ce n’était pas tellement le métier qui m’avait dégoûtée. C’était tout le reste autour. Finalement, plus le temps passe et plus je cherche et moins j’ai envie de faire les métiers qui étaient sur les sites d’annonces.
Et je me suis dit, bon, ok, là, il me reste une dernière chose. Je sais travailler, je sais ce que je vaux.
C’est quelque chose auquel j’avais déjà pensé sans trop m’attarder dessus. Je me suis dit, bon, là, vas-y, je me mets à mon compte et puis je verrai bien ce qui en résulte. Si ça ne marche pas, au pire, tant pis, je ferai autre chose. Je retournerai dans le salariat, ce n’est pas grave.
Mais c’est ça qui m’a poussée aussi à me mettre à mon compte parce que c’était soit ça, soit je ne savais pas où j’en serais aujourd’hui. Donc, je me suis mise à mon compte, j’ai tenté tout pour le tout et j’y suis allée.
Florence
Bravo, bravo !
Élodie Ems
Merci <rires>.
Florence
Et c’est fou parce que ça a tenu à rien. Quand je t’entends dire, t’as envisagé de faire un autre métier alimentaire.
Élodie Ems
Oui.
Florence
Tu vois, vraiment, c’est rien.
Élodie Ems
Oui, mais clairement.
Florence
Tu aurais pu complètement sortir du circuit alors qu’en fait, c’était… J’ai l’impression que c’était la culture, encore une fois, qui posait problème.
Élodie Ems
Oui, c’est ça. J’avais l’impression que c’était le métier, mais finalement, c’était tout le reste autour, toutes les relations humaines.
Florence
C’était les gens, oui. Enfin, les gens, la façon dont tu étais traitée en tant que personne pas dans la catégorie dominante.
Élodie Ems
Oui, c’est ça.
Florence
Du coup, tu étais salariée, tu n’as pas le droit légalement de reprendre les clients et les clientes de ton mode salarié. Et du coup, quand tu crées ta boîte, comment tu fais sur cette transition pour pouvoir trouver tes premiers revenus ?
Élodie Ems
C’est vrai que c’était une des préoccupations que j’avais quand je me suis mise à mon compte, parce que je me suis dit, effectivement, je n’ai pas le droit d’aller piquer les clients des entreprises dans lesquelles j’ai travaillé. Parce que j’ai eu quelques mois, en fait, au début, où je n’avais pas non plus le droit au chômage, parce que j’ai démissionné avant de m’inscrire à Pôle emploi. Donc, j’avais quatre mois de, comment ils appellent ça ?
Florence
De carence ?
Élodie Ems
Oui, c’est ça. Avant que ça passe en commission et qu’ils décident si oui ou non, j’ai le droit au chômage. Ben, je me suis serrée la ceinture et j’ai vécu sur mes économies <rires>
Florence
D’accord.
Élodie Ems
Après, je ne suis pas toute seule, je suis en couple, donc c’est vrai que j’avais les revenus de mon chéri, mais c’est vrai que je ne voulais pas prendre “tout son argent”.
J’exagère, mais voilà, j’ai fait très attention à ce que je dépensais, j’ai fait vraiment le minimum de dépenses possible en attendant de voir si j’avais le chômage ou pas. Jusqu’à ce moment-là, j’ai eu un ou deux chantiers histoire de dire que je rentrais un peu de trésorerie, mais c’est vrai que ça ne m’a pas suffi assez pour avoir une crédibilité auprès de la banque pour acheter la camionnette.
Florence
D’accord. Il manque un bout quand même, puisque comme tu as dit que ta façon de trouver des clients et des clientes, c’est le bouche à oreille. Sur ces un et deux chantiers, comment tu as fait pour avoir ces clients-là ? Si tu ne fais pas de pub ou…
Élodie Ems
C’est vrai que les premiers clients que j’ai eus, c’était des gens que je connaissais. Encore maintenant, la plupart des chantiers que j’ai, c’est des gens que je connais. Il y a quand même de plus en plus de gens que je ne connais pas et à qui j’ai été recommandée par des gens chez qui j’ai déjà travaillé.
Mais c’est vrai qu’au tout début, les premiers clients que j’ai eus, c’était des gens que je connaissais. Ma cousine qui a construit sa maison, elle m’a donné toute la partie peinture. J’ai des copains à droite à gauche qui avaient des choses à faire chez eux.
Ensuite, le bouche à oreille a fait que je me suis débrouillée.
J’avais par contre quand même des cartes de visite que je donnais ou aussi chez les fournisseurs où je me suis dit “si jamais vous avez des gens qui cherchent quelqu’un, donnez-leur ma carte”. Mais c’est vrai que ce n’est pas ce qui m’a rapporté le plus.
C’était vraiment le bouche à oreille des gens que je connaissais ensuite vers d’autres personnes.
Florence
D’accord. Avant que ça tourne, tu as un peu de prospection avec les cartes de visite que tu distribues ou ton entourage, enfin ton cercle proche.
Élodie Ems
Oui, c’est ça. J’en ai parlé à mon cercle proche qui en ont aussi parlé à ceux qui en avaient éventuellement besoin. J’ai aussi participé à des conférences pour les entrepreneurs qui étaient proposées à Metz, qui sont d’ailleurs toujours proposées.
Et ça m’a permis aussi de rencontrer une décoratrice avec qui je travaille encore actuellement.
Florence
Ok, super clair. Merci. On arrive à la fin de notre échange.
C’était super intéressant, ça me donne trop envie. Est-ce que tu as un dernier message à faire passer avant qu’on se sépare ?
Élodie Ems
Alors, on a besoin de femmes dans le bâtiment. Vraiment, on a besoin de femmes. Je sais que ce n’est pas facile, il faut s’accrocher.
Mais je crois sincèrement que le jour où il y aura plus de femmes dans le bâtiment, les gens verront aussi ces métiers-là d’une manière différente. Et oui, on a besoin de ça en fait. On a besoin des femmes, on a besoin de leur point de vue.
On a besoin que les mentalités changent aussi. Et ça ne changera pas tant qu’il n’y a pas plus de femmes dans le bâtiment. Et c’est vrai que, je dis ça, mais c’est quand même très difficile de s’intégrer dans le bâtiment en tant que femme.
Mais en vrai, ça vaut le coup quand on voit tout ce qu’on arrive à faire ensuite de nos mains et de rendre les gens heureux, etc. Ça vaut vraiment le coup.
Florence
Super, merci. J’ai quand même l’impression que tu parles beaucoup de la culture toxique. Parce qu’au BTP, pour les femmes, on va souvent penser que c’est l’aspect physique qui… Est-ce que c’est ce de quoi tu parles ?
Élodie Ems
Oui, physiquement, c’est une charge, clairement. Mais je ne pense pas que ce soit plus difficile pour une femme que pour un homme.
Il peut y avoir des hommes qui ne sont pas très musclés et qui galèreront plus qu’une femme, par exemple. Donc je pense que ça, ça dépend vraiment de la morphologie et de la génétique des gens. Mais je parle surtout du climat toxique parce que le bâtiment, c’est quelque chose.
Je ne dis pas qu’ailleurs, c’est mieux. Mais c’est vrai que le bâtiment, il y a beaucoup de gens qui sont là par dépit, qui n’ont pas forcément envie de faire ça, qui travaillent dans des conditions un peu déplorables parce que, par exemple, les patrons ne sont pas hyper ouverts à donner des bonnes conditions de travail aux salarié·es. Il y a tout un système qui fait que le bâtiment, c’est un peu les…
Pas tous hein, mais il y a beaucoup de rebuts de la société qui sont là parce qu’ils ne savent pas quoi faire d’autre. Alors que c’est des métiers où il faut réfléchir, où il faut quand même s’investir. Ce n’est pas juste des métiers où on fait ça, hop et puis c’est bon, c’est vraiment… on peut pousser plus loin ça.
Florence
Merci beaucoup Élodie Ems d’avoir participé au podcast.
Élodie Ems
Je t’en prie. Merci, bonne journée.
—
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[fin de la musique de générique d’intro]


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