Pour ce sixième épisode du podcast antisexiste La Place des Grenouilles, Ana Meunier nous raconte son métier de cheffe d’orchestre. A travers son parcours, elle nous parle de musique bien sûr, mais aussi de passion, de se confronter au réel, d’itérations, d’humain(s), de joie et de biais.

- Qu’est ce qui l’a amené à devenir cheffe d’orchestre ? En France, il y a entre 5 et 10% de cheffes d’orchestre selon les sondages.
- En quoi consiste le travail d’un·e chef·fe d’orchestre ?
- Comment se passe le travail avec les musiciennes et les musiciens ? Avec les solistes ?
- Comment devient-on chef·fe d’orchestre ?
- Quels sont les obstacles et les leviers pour devenir cheffe d’orchestre et le rester ?
- Quels conseils pour une personne souhaitant diriger un orchestre ?
Ana Meunier est cheffe d’orchestre et compositrice française. Elle dirige actuellement l’Orchestre OPPERA, après avoir mené des orchestres prestigieux tels que Colonne, Pasdeloup, Lamoureux et Ostinato lors de masterclass. Côté composition, elle intervient à l’Orchestre de Chambre de Paris.
L’épisode est disponible sur 🍎Apple Podcasts, Deezer, Spotify, Podcast Addict, ou Acast. Vous pouvez également le trouver sur Podcast France et Amazon Music Pensez à le noter ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️ sur Apple ou Spotify pour aider sa diffusion.
Suivez Ana Meunier sur Instagram pour connaitre ses actualités.
La musique de notre générique est composée par Gisula (https://gisula.com).
L’épisode a été enregistré le 19/06/2024.
Ressources
- Entre 5 et 10% de femmes cheffes d’orchestre en France
- La Maestra, concours internationale de cheffes d’orchestre. Généralement diffusé en direct à la télévision en France.
- Filmographie
- Divertimento (2022), de Marie-Castille Mention-Schaar. Bioepic sur Zahia Ziouani, cheffe d’orchestre de Seine-saint-Denis. Vous avez peut-être vu son portait géant le long du canal de l’Ourcq, à Pantin.
- La chef d’orchestre (2020), de Maria Peters. Biopic sur Antonia Brico, première femme à diriger un orchestre symphonique à la fin des années 1920.
- Tár (2022) sur le parcours d’une cheffe d’orchestre internationale. Nommé aux Oscars et Golden Globes.
- Composher édite et met à disposition des partitions de compositrices. Le collectif propose également des playlists YouTube et Spotify, parmi d’autres ressources liées aux compositrices
- Elles Women Composers des portraits et fait jouer des morceaux de compositrices par des professionnelles. Elles ont réalisé une étude très intéressante sur les oeuvres qui étaient jouées en France dans les salles, et par qui. En décémbre de chaque année, elles propose un calendrier de l’Avent des compositrices.
- Présences compositrices, promeut les oeuvres de compositrices, à travers une base de données de presque 25000 compositrices sur Demandez à Clara, des playlists et une boutique avec son annuaire de partitions. Elles organisent le Festival Présence Compositrices.
- Femmes compositrices
Transcript de l’épisode :
[musique de générique d’intro]
Sara : La Place des Grenouilles, c’est une association ET un podcast qui proposent des espaces de discussion et de réflexion pour déconstruire, ensemble, les normes de genre.
Florence : Au fil des épisodes, on vous propose :
– de revenir sur des œuvres et événements qui nous ont plu,
– de découvrir des métiers à priori genrés,
– ou encore d’approfondir des sujets de société grâce à des expertEs de différents domaines”
Sara : Nous sommes Florence et Sara,
Florence : bienvenue sur La Place des Grenouilles”
[fin de la musique de générique d’intro]
—
Florence :
Bonjour tout le monde ! Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir Ana Meunier, cheffe d’orchestre et compositrice. Bonjour Ana !
Ana Meunier :
Bonjour !
Florence :
Ana a dirigé des orchestres prestigieux, comme Colonne, Pasdeloup, Lamoureux ou, et Ostinato lors de masterclass. Elle est aussi compositrice. Elle a collaboré avec des ensembles renommés comme l’Orchestre de Chambre de Paris, Court circuit et l’Ensemble Cairn. Aujourd’hui, elle occupe le poste de cheffe d’orchestre et directrice musicale de de l’Orchestre OPPERA.
Alors déjà, aujourd’hui en France, on compte à peu près, donc selon les études ça varie, entre 5 et 10 % de femmes cheffes d’orchestre. Qu’est-ce qui t’a amené à devenir cheffe d’orchestre Ana ?
Ana Meunier :
Alors moi c’est venu à peu près vers mes 16-17 ans l’envie de diriger des orchestres, mais ça s’est pas forcément concrétisé jusqu’à plus tard. J’ai une expérience en fin de lycée je devais être en première ou en terminale, c’était le centenaire du lycée. Et donc j’avais décidé de, de créer en fait avec des élèves un petit orchestre pour les festivités du centenaire. J’avais même composé une pièce pour l’occasion parce qu’il y avait forcément des, pas mal d’événements, de festivités, donc on s’est dit “et si on se regroupait en tant que petit orchestre ?” et du coup j’ai dirigé pour la première fois de ma vie cet orchestre pour la pièce que j’avais composé pour l’occasion.
J’avais aucune compétence, aucune technique, mais, mais bon je pense qu’on était tous et toutes jeunes et volontaires, donc ça posait pas forcément de souci. Et après j’ai un petit peu abandonné l’idée jusqu’à mes 20-21 ans, où là je me suis un petit peu plus posé la question de comment faire en fait pour rendre ce projet réel et j’ai décidé de de me mettre à la recherche d’une classe de direction d’orchestre. Et j’ai commencé à Paris, dans le conservatoire du 15e arrondissement.
Florence :
D’accord. Donc ça a été quelque chose qui t’a toujours plu, enfin, quand même assez jeune
Ana Meunier :
C’est ça. Ça m’a travaillé pendant longtemps et en fait pour sauter le pas, ça a mis bien 3 4 ans
Florence :
ok du coup comment on devient chef·fe d’orchestre ? là tu as parlé d’une formation ?
Ana Meunier :
Oui pour être chef•fe d’orchestre, le mieux c’est de prendre des cours de direction d’orchestre et c’est là où ça peut coincer dans certains endroits. Alors moi j’ai étudié à l’époque en Angleterre, plus précisément en Écosse. En fait, j’ai été au conservatoire royal d’Écosse pour la composition, et en fait en Angleterre, il faut savoir qu’il n’y a pas de cours de direction d’orchestre jusqu’au Master. Donc en fait il existe des masters mais avant ça il n’y a rien, ou en tout cas
Florence :
C’est trop bizarre
Ana Meunier :
Ouais il n’y a pas de Licence à proprement parler donc je me demande, je me suis toujours demandé en fait d’où arrivaient ces élèves en master avec aucune autre formation préalable, et du coup je me suis rendue en France où là, je savais qu’il y avait des classes de conservatoire. Et donc à Paris il y a plusieurs classes en fait dans des arrondissements donc pas tous les conservatoires en proposent, mais je me suis inscrite dans la classe du 15e pour le professeur, qui s’appelle Adrian McDonnell, qui était mon professeur pendant 4 ans, avec qui j’ai beaucoup appris. Et en fait, c’est en m’inscrivant que peu à peu j’ai commencé à à connaître vraiment le le métier parce qu’avant, j’avais une image un petit peu fantasmée du chef·fe d’orchestre et j’avais quelques expériences par-ci par là. Du coup pendant mon ma licence de composition avec quelques ami·es, on avait vraiment à l’occasion regroupé des petits ensembles et que j’avais dirigé, mais sans grande compétence, et c’est vraiment en s’inscrivant dans une classe de conservatoire où où j’ai pu acquérir une technique, j’ai pu acquérir du répertoire.
Florence :
OK et du coup on a effectivement une image assez fantasmée du ou de la chef·fe d’orchestre devant des musiciens, des musiciennes. Concrètement et en vrai, en quoi consiste ton travail de façon plus globale ?
Ana Meunier :
Alors de manière plus globale, il y a pas énormément de temps de mon travail qui est consacré à vraiment diriger devant l’orchestre. Je pense que ça, ça, ensuite ça dépend des personnes, mais moi c’est environ un tiers de mon temps où je suis je suis devant l’orchestre et sinon tout le reste, c’est du travail de partition, donc c’est ce qu’on appelle travail à la table, où je suis à mon bureau assis avec mes partitions et je, j’apprends bah mon texte en fait, j’apprends ma partition, je travaille mes gestes en off donc pas devant les musiciens pour arriver le plus préparé possible devant eux. Je fais de l’analyse de partition parce que c’est aussi important quand on veut transmettre une une interprétation à des musicien·nes, de, d’avoir fait le travail en amont d’interprétation, donc d’analyse souvent on fait beaucoup d’analyses. Et en fait avec la casquette de chef·fe d’orchestre, il y a beaucoup de compétences qu’il faut avoir, c’est pour ça que souvent dans les classes de conservatoire le cursus de direction d’orchestre s’accompagne par des classes d’écriture, des classes d’harmonie, des classes d’analyse, des classes d’histoire de la musique parce qu’en fait il faut être, faut être très polyvalent. Il faut être un musicien complet, souvent c’est pas mal de jouer d’un instrument aussi, pour avoir une idée en fait des difficultés techniques que nous ensuite on va demander au musiciens, donc il y a des travaux de, d’instrumentation, d’organologie pour être au courant de, des difficultés et des limitations techniques de chaque instrument donc il y a vraiment tout un travail en amont où c’est préparation, apprentissage du texte. On se pose des questions de quel geste on va faire à quel moment, et une fois que toute cette petite chorégraphie on va dire est, est faite dans notre tête et qu’on l’a travaillé soit devant un miroir soit comme ça devant le bureau, et qu’on est suffisant solide, là c’est le moment où on va passer devant l’orchestre pour répéter. Il y a aussi un gros du travail qui se fait en répétition et c’est là où on va travailler, on va faire une recherche de son avec les musicien•nes, on va corriger des fautes s’il y en a, on va mettre en place, on va parler nuances, on va parler articulation, on va vraiment mettre en vie en fait le texte musical qu’on a sur la partition et et faire des choix artistiques, et donc là souvent, c’est enfin “souvent”, toujours c’est le chef d’orchestre qui donne une direction et les musiciens qui qui vont dans cette direction là. Et puis ensuite il y a tout le travail administratif, et là ça, ça varie des, ça dépend beaucoup des orchestres. Et y a des orchestres où le chef, il a pas à s’occuper de ça mais là en l’occurrence, je suis dans un orchestre associatif où du coup je, je participe aussi à la vie, à la vie associative de l’orchestre, donc là il y a des créations de planning de répétitions, on va bloquer des dates pour faire des concerts, on va bloquer des dates pour faire des week ends de répétition s’il y a besoin, il y a des parties enfin des, des personnes du bureau qui s’occupent de subventions. Il peut y avoir de l’aide de ce côté-là, il y a un côté technique régie logistique et tout ça c’est c’est un travail en plus en fait qui est pas forcément ce qu’on s’imagine quand on pense chef·fe d’orchestre et en fait il faut être derrière et être au courant de toutes ces choses pour le bon fonctionnement d’un orchestre. C’est comme une petite entreprise.
Florence :
Oui clairement. Alors tu as parlé du caractère associatif de l’orchestre
Ana :
Oui
Florence :
dont tu fais partie, enfin que tu diriges en fait, mais c’est ton métier enfin juste qui a pas d’ambiguité par rapport à aux personnes qui écoutent : tu es rémunérée par l’association
Ana Meunier :
Oui c’est ça. En fait toutes les, tous les membres de l’orchestre sont des amateurs donc c’est un orchestre où toutes les personnes sont “bénévoles” elles sont là de leur plein gré j’allais dire <rires>, sur leur temps libre et en revanche souvent dans ce genre d’orchestre le chef d’orchestre est un professionnel donc qu’ils font venir
Florence :
D’accord. Euh est-ce que tu peux, parce que du coup c’est encore un petit peu abstrait, la partie préparation, est-ce que tu peux décrire ton approche pour interpréter et préparer une partition musicale ?
Ana Meunier :
Alors la première chose que je fais quand je me mets devant une partition, c’est une analyse de la pièce et donc par analyse j’entends le fait de comprendre la structure de la pièce c’est-à-dire je la découpe en fait en grande partie souvent une pièce de musique elle est, elle est construite sur le temps et donc il y a plusieurs parties soit qui sont contrastantes soit qui sont en transition, enfin ça va vraiment dépendre de de chaque musique mais souvent la première chose que je fais, c’est que je me concentre sur la forme et et les les sous-parties dans une pièce pour en fait avoir un sens général de de direction, de, d’articulation comme une phrase en fait, donc c’est vraiment comme de l’analyse de de texte.
Par exemple si on a tout un livre on va le découper en chapitres puis en paragraphes pour faire sens en fait dans le texte musical, donc ça, c’est ma, c’est mon premier travail, c’est de d’analyser la partition pour pour avoir une connaissance en fait très poussée et très très très intime aussi de la pièce. On se familiarise avec en fait dans les heures, les jours, les semaines, pour pour une préparation. Donc une fois que j’ai fait mon analyse ensuite, je vais faire des choix artistiques et donc là ça ça va vraiment, c’est là où on va créer en fait le plus gros de notre interprétation parce que, une fois qu’on a analysé une pièce, il y a déjà plusieurs manières de l’analyser. Plusieurs personnes vont, vont émettre des des analyses différentes et vont avoir des interprétations différentes, et puis une fois que c’est analysé justement je vais décider en fait de quel sens musical moi, je, je retrouve dans cette pièce-là et donc quel son je vais imaginer l’orchestre, en fait jouer pour tel ou tel moment et donc là c’est vraiment un travail où il peut m’arriver de jouer au piano par exemple, euh déjà pour avoir dans l’oreille les notes, les harmonies donc c’est vraiment un apprentissage de texte. Donc tout ça ça s’accompagne en fait, c’est ce que j’appelle travail d’analyse mais il y a pas il y a pas que ça, il y a il y a beaucoup d’interprétations.
Florence :
Quand tu parles d’interprétation d’une partition qu’est-ce que tu veux dire en fait ? Quels sont les leviers que tu as, les variables d’ajustement ? Sur quoi tu peux jouer ?
Ana Meunier
oui en fait quand j’interprète une partition c’est vrai que il y a toujours la question de à quel point on reste proche de la partition originale et à quel point on peut s’en détacher. Donc dans une partition ce qui est écrit et qui ne bouge pas pour toutes les les interprétations, c’est le rythme, les notes parfois le tempo est marqué très précisément. C’est le cas de Beethoven en fait il écrit les tempos avec la marque métronomique par exemple “la noire est égale à 112 battements par minute” là il y a pas trop de de marge d’interprétation possible mais des fois c’est écrit Allegro donc juste une indication en fait de temps, et Allégro ça peut être, il y a différents Allegro et donc là c’est là où je vais trouver en fait des marges de liberté donc toute la question c’est ça, à quel point je peux prendre des libertés et où je peux prendre des libertés.
Donc les notes, le rythme comme j’ai dit, ça ne bouge pas, mais parfois je vais décider d’aller soit en accélération sur un passage, soit un petit ralenti en fin de phrase et ce que je veux dire par phrase, c’est en fait la mélodie. La mélodie souvent si on chante une mélodie il y a un début et puis une fin où on a plus de souffle, ou alors où ça arrive à la, à la conclusion mélodique et donc quelle note va être la plus importante ? est-ce que ça va être le haut, donc la note du haut ,donc le point un petit peu culminant, le sommet de la mélodie, est-ce que ça va être la première note, est-ce que ça va être la note d’arrivée ? et là c’est là où je vais vraiment pouvoir faire des choix de me dire “ah bah cette phrase, j’ai envie de la phraser d’une certaine manière et donc de la faire chanter par exemple au début puis ensuite que ça s’essouffle un petit peu, donc de faire plus doux à la fin, jouer moins fort, faire quelque chose qui qui est en un petit peu une déclamation, donc par exemple, je commence doucement, puis à la fin c’est beaucoup plus fort” et donc c’est vraiment là où je vais pouvoir prendre des libertés. Il y a des indications de nuances dans la partition mais mais au sein de de ces indications de nuances, on peut quand même par exemple si écrit Piano donc Piano c’est doux, on peut jouer très très doux, on peut jouer un peu moins doux, ça dépend vraiment si on peut jouer plus fort par rapport à un autre passage enfin ensuite on s’ajuste là-dessus. Il y a beaucoup de de connaissances aussi, de de contexte historique musical par exemple, une pièce de Bach, on va pas du tout la jouer comme on joue du Schumann, donc il faut être au courant de comment on joue une pièce de telle époque pour faire des choix artistiques adéquats.
Donc ça c’est toute la préparation comment dire théorique et ensuite il y a la préparation technique où je vais décider de, alors je décide pas de gestes en premier, je décide d’abord d’intention. Par exemple je veux cette partie beaucoup plus fort, c’est le climax de la pièce donc il faut que ça ressorte, ou alors cette partie là, il faut que elle mène en fait, et que ça soit soutenu jusqu’à la conclusion, et donc là je vais décider de comment je vais mener mes phrases musicales et donc de choix artistiques vont découler mes choix techniques, parce que souvent en fait, pour avoir un résultat, il y a des gestes précis.
Et donc souvent c’est après, en dernier lieu que je réfléchis à comment moi je vais concrètement bouger les bras ou ou utiliser mon corps pour transmettre mon interprétation au musicien.
Florence :
ok je… ah ouais super intéressant. Je savais pas qu’on pouvait être chef·fe d’orchestre sans être, pratiquer soi-même un instrument ?
Ana Meunier :
Souvent les chef•fes d’orchestre pratiquent un instrument. Ben moi par exemple quand je j’apprends une pièce, je la déchiffre au piano, je joue les voix séparées aussi parce qu’en fait dans un, dans une partition d’orchestre, c’est ce qu’on appelle un conducteur, on a la partie avec autant de portées qu’il y a d’instruments et donc parfois on peut se retrouver avec une page de musique où il y a 30 voix différentes ou 10 voix différentes. Enfin il y a vraiment beaucoup beaucoup de portées et même si on est très bon musicien on peut pas objectivement entendre tout ce qui est joué en même temps, et c’est pour ça que dans mon travail souvent, je joue les voix séparées au piano pour avoir en tête chaque instrument, et comme ça en répétition c’est beaucoup plus efficace, vu que je l’ai dans l’oreille je peux réagir à ce que le·a musicien·ne va jouer, et si jamais il y a un souci de rythme, de note, tu peux facilement le le corriger
Florence :
ok quel est ton processus pour programmer une saison de concert ou choisir le répertoire ?
Ana Meunier :
Ah grande question. Alors ça va varier des orchestres mais dans mon cas, avec l’orchestre OPPERA souvent c’est c’est le chef en fait qui qui fait les programmes. C’est pour ça que en plus d’être chef•fe d’orchestre je suis directrice musicale, donc c’est souvent les directeurs musicaux qui sont en charge des programmes. Il y a des orchestres où c’est, ce n’est pas le chef qui fait ses programmes, il y a des orchestres où c’est voté par les musiciens euh surtout dans le monde associatif. Mais la plupart du temps, en grande majorité, c’est le chef qui décide et donc moi souvent ,pour créer un programme, je me pose déjà des questions de technique et d’effectifs. C’est-à-dire que pour un orchestre où j’ai deux corps de trompettes, je vais pas programmer une symphonie qui a quatre cors, quatre trompettes, quatre trombones. Donc il y a déjà des soucis de de d’effectif donc souvent je vais regarder dans le la partition en fait combien d’instruments sont nécessaires pour la jouer. Donc ça c’est la première limitation et ensuite il y a une limitation technique : je vais pas demander à mon orchestre une, de jouer en fait une pièce pour laquelle ils n’ont pas le niveau et il y a des pièces qui sont très compliquées et qui sont moins jouées. Je pense par exemple au symphonies de Schumann, qui sont rarement jouées parce qu’en fait techniquement c’est c’est très demandant des musiciens et c’est pour ça que les orchestres de jeunes ou les orchestres amateurs les jouent peu. Donc une fois que j’ai considéré toutes les les limitations techniques hein, donc nombre de musicien•nes et puis, technique de chacun·e, les programmes et ben ça ça va dépendre en fait des orchestres. Il y a des musicien•nes enfin il y a des des orchestres, où on fait un programme thématique par exemple sur la musique scandinave et donc on va programmer des musiques soit de compositeur scandinaves, soit qui parlent de de de ça ou alors autour d’un compositeur, ou alors on va décider de présenter un programme plus divers.
Alors avec l’orchestre que je dirige OPPERA souvent c’est un programme assez divers parce que, on a aussi la mission de jouer en établissement scolaire pour pour faire découvrir la musique symphonique, donc pas classique, mais symphonique, à des des enfants, des adolescent·es, enfin des publics qui ont pas l’habitude. Et donc là souvent on a un programme assez varié donc euh, ça va de ‘classique’ donc des, soit des mouvements de symphonie, soit des ouvertures des poèmes symphoniques n’importe
Florence :
Tu veux bien donner la différence entre classique et symphonique ?
Ana Meunier :
“Classique” c’est vraiment ce qu’on entend par “musique classique” donc c’est la musique qui s’inscrit dans l’histoire de la musique euh alors, il y a “classique” vraiment Mozart, Haydn donc de la période “classique” mais souvent c’est un un mot un peu fourre-tout pour englober et la période classique et la période romantique, parfois le baroque, donc tout ce qui est la musique un peu de “répertoire”
Florence :
ok
Ana Meunier :
Quand on pense au compositeur mort tout ça, et “symphonique” c’est juste qui est joué par un orchestre symphonique. Il y a du métal symphonique par exemple
Florence :
ok
Ana Meunier :
Donc c’est c’est du métal joué par un orchestre et nous souvent on aime bien avec les les collèges, lycées, travailler avec les chorales des collèges, lycées donc des fois on fait de la variété ou des chansons, et on accompagne les enfants ou les adolescent·es avec l’orchestre. Donc là on fait de la musique symphonique mais c’est pas forcément classique, c’est soit de la variété soit de la chanson. On fait aussi des arrangements de musique de film, de musique de jeux vidéo, là par exemple, on joue un arrangement de Mario
Florence :
D’accord
Ana Meunier
Pour montrer en fait que c’est pas parce que c’est un orchestre que c’est de la musique ancienne
Florence :
Oui du coup il y a un travail de d’éducation aussi
Ana Meunier :
C’est ça
Florence :
Du coup il y a une question qui, qui me démange <rires> c’est que, dans les les concerts auxquels j’assiste, euh c’est souvent les mêmes compositeurs ,euh et homme, donc compositEURS . Et il y avait une problématique que j’avais pas en tête qui était que, quand on jouait justement, on sortait un peu du chemin classique, ça faisait que le public ne suivait pas, qu’il y avait aussi, c’était pas si simple en fait, au-delà de trouver déjà des partitions, d’avoir l’adhésion des musiciens musiciennes, et ça donne un peu l’impression que c’est presque impossible en fait de…
Ana Meunier :
Ouais en fait vu que c’est assez opaque et… en fait c’est le serpent qui se mord la queue : on n’entend pas beaucoup de compositrices femmes, donc du coup c’est pas dans l’oreille des gens, donc on se dit “on va pas le mettre au programme” parce que c’est pas, ça ça amène pas de monde, et en fait c’est c’est un cercle vicieux. Bon il y a une vraie problématique qui est que, il y a beaucoup de, d’œuvres de compositrices où on n’a pas forcément accès aux partitions, soit parce qu’elles ont jamais été jouées soit parce que c’est tellement rare que pour se procurer la partition, c’est un <rire> parcours du combattant.
Il y a une bonne, il y a une bonne ressource, c’est un site qui s’appelle Compositrices et c’est des personnes en fait, c’est un collectif qui a mis à disposition tout une, tout un un répertoire de de de pièces écrites par des compositrices. Et je sais qu’on peut les contacter pour demander des partitions si elles les ont, donc ça c’est une bonne une petite encyclopédie en fait des pièces de compositrices, et c’est pas mal. Parce que, en fait on a accès à l’information mais il faut savoir où chercher et puis il faut faire un peu plus d’efforts. Et c’est vrai qu’une partition de Beethoven, on sait où trouver ça, c’est c’est facile d’accès, on l’a dans l’oreille en plus
Florence :
Oui
Ana Meunier :
Et je pense qu’il y a un côté très familier en fait avec la musique, c’est que souvent on se rend compte hein, quand un public non comment dire non connaisseur
Florence :
non initié oui
Ana Meunier :
Va entendre un tube par exemple, ils vont tout de suite beaucoup plus accrocher parce que il y a une familiarité, ils l’ont dans l’oreille ou ils l’ont entendu quelque part et ils reconnaissent. Souvent ce qu’on essaie de faire dans nos programmes, c’est faire un mélange de morceaux comme ça qui, qui sont familiers et qui parlent aux gens, et on rajoute des des pièces un petit peu plus inconnues, ou alors un petit peu plus, où il faut un petit peu plus de de bouteille on va dire pour apprécier, et et en fait avec le mélange des deux ça passe assez bien
Florence :
Ça marche, on notera de toute façon les références des sites. Moi je crois que j’avais vu je demande à Clara ou quelque chose comme ça aussi
Ana Meunier :
Oui oui oui
Florence :
Et avec les musiciens et les musiciennes de l’orchestre, comment tu travailles pour obtenir le son et l’interprétation désirée ?
Ana Meunier :
Hum bonne question <rires>. Ça va dépendre des orchestres. Avec un orchestre amateur il y a beaucoup de de travail, de technique, parce que c’est pas des professionnel•les et donc du coup je vais des fois leur faire des demandes euh “techniques”, par exemple de coup d’archet, ou alors pour les cordes par exemple je vais leur dire de de jouer d’une certaine manière avec l’archer
Florence :
D’accord
Ana Meunier :
Et souvent l’archer a une énorme influence sur le son donc dans un orchestre professionnel c’est souvent le premier violon qui fait ses coups d’archer, et en fait les les cordes, pour juste remettre en contexte, ils jouent tous dans le même sens avec l’archer. Donc c’est la main droite qui tient l’archer et si on regarde un orchestre en fait, c’est très, c’est très beau visuellement, parce que tous les, tous les violons tous les violoncelles, enfin chaque instrument va jouer vraiment dans le même sens et va faire le même mouvement de la main droite. Donc ça en fait, ils se mettent d’accord avec le chef de pupitre qui s’appelle le premier violon et c’est lui qui va mettre ses coups d’archer et qui va ensuite les transmettre à tout son pupitre. Donc tous les violons vont faire le même coup d’archer, tous les alto vont faire un coup d’archer et chaque chef·fe de pupitre va mettre les coups d’archer pour toute sa section. Dans un orchestre amateur, souvent les chef·fes d’orchestre, en tout cas moi en l’occurrence, je je je donne des coups d’archer, je fais des suggestions pour avoir en fait un résultat sonore et puis aussi pour aider donc voilà souvent c’est des travaux de de coordination comme ça. Donc il y a beaucoup de techniques, donc les cordes souvent c’est l’archet hein qui va qui va faire une grande influence sur le son. Les vents on peut aussi leur leur donner des, des, comment dire en les vents souvent quand je l’ai fait travailler, on travaille la justesse, parce que c’est pas évident évident, on va travailler aussi l’articulation donc pour tous attaquer en même temps, et de la même manière, et faire un son homogène.
Donc il y a vraiment, c’est pour ça je disais, il faut très bien connaître les spécificités techniques de chaque instrument parce qu’en fait si on s’imagine comment le musicien doit jouer ou quelles sont les les limitations de l’instrument on va être plus à même de donner des indications, et puis surtout pointer le problème technique qui fait que ça marche pas encore, et qui débloquera ensuite tout le son, donc voilà, beaucoup de techniques.
Et puis ensuite j’essaie de montrer tout ça avec mes gestes beaucoup, donc par exemple respirer tous ensemble, de les aider ou alors pour ce qui est des nuances, jouer plus fort ou moins fort, ça ça va être en fonction de mes gestes plus ou moins grands. Le regard est hyper important aussi parce que s’il y a une voix principale ou un instrument qui doit ressortir, bah je peux aller chercher des yeux et souvent ça suffit en fait à, à lui faire comprendre que c’est lui qui doit prendre plus de place. Donc il y a beaucoup de travail comme ça, de, d’équilibre, c’est ce qu’on appelle, de balance et en fait de, un peu comme une table de de mixage, de de voir qui doit jouer plus fort, et qui doit être en en toile de fond
Florence :
ok bah du coup il y a les musiciens musiciennes, on en a parlé, il y a aussi des solistes, et des artistes invité
Ana Meunier :
oui !
Florence :
Comment est-ce que tu abordes ce travail là ?
Ana Meunier :
Alors souvent avec les solistes par exemple, dans le cadre d’un concerto ou si c’est une chanteuse d’une d’une œuvre lyrique, il y a un travail qui se fait en duo souvent entre le soliste et le chef d’orchestre avant, donc en amont des répétitions avec orchestre. Il y a deux temps en fait, généralement quand je fais une pièce avec soliste, le soliste et le chef bah on se rencontre pour se mettre d’accord sur l’interprétation. Si c’est un concerto, on va suivre l’interprétation du soliste, parce qu’en fait c’est lui qui qui apporte son interprétation, et nous on est là pour l’accompagner, donc que on va se mettre d’accord sur les tempos, donc les vitesses, sur les nuances, sur le phrasé, sur toutes ces choses musicales qui qui crée l’interprétation. Et en fait moi je fais vraiment l’intermédiaire entre le soliste et l’ensemble, parce que souvent, ce qui se passe c’est que, on fait travailler l’orchestre tout seul, sans la partie soliste et en fait, une fois que l’orchestre, on a bien travaillé avec eux et le morceau est su et maîtrisé, c’est à la fin qu’on va tout mettre ensemble et donc là le soliste peut venir répéter avec l’orchestre pour du travail d’équilibrage, et de mise en place, vraiment pour marier les deux, mais on travaille pas entre guillemets depuis, enfin à zéro avec le soliste. Le soliste il vient vraiment à la fin pour la touche finale
Florence :
ok est-ce que tu peux partager des des défis ? quels sont les plus grands défis auxquels tu as été confronté en tant que dirigeante d’un ensemble ou d’un grand ensemble ?
Ana Meunier :
euh les plus grandes difficultés sont humaines <rires> parce qu’en fait être chef·fe d’orchestre, c’est aussi gérer un groupe de personnes, donc ça va dépendre. Là l’orchestre opéra, c’est 50 musicien•nes à peu près, mais il y a des chef•fes d’orchestre qui dirigent des ensembles plus petits ou plus grands. Mais en tout cas dans chaque groupe de personnes qui travaillent ensemble, il y a, il peut y avoir des des personnes qui qui vont dans une direction opposée à la nôtre et de toute façon ça c’est normal hein, il y a, il y a vraiment une pluralité des profils et puis des envies musicales, et puis chacun·e a un peu sa sa vision de de l’œuvre et c’est pour ça que le chef d’orchestre, il est là en fait pour fédérer tout le monde envers une direction. Et parfois il y a des musicien•nes qui sont pas forcément d’accord avec ces décisions là et donc c’est gérer en fait des des égos parfois ou alors gérer des des frustrations. Et oui en fait je pense que la difficulté principale c’est vraiment euh gérer ces quelques problèmes des fois de personnes, soit qui sont pas d’accord, soit qui comprennent pas ,il y a ça aussi en fait, beaucoup des personnes qui comprennent pas les choix musicaux qu’on fait mais ça, ça arrive pour tout le monde et partout et c’est pas forcément… Enfin ça dit pas grand-chose de la personne ou alors du chef, c’est vraiment quand on est musicien•ne, on va, il y a pas deux personnes qui ont la même interprétation
Florence :
D’accord
Ana Meunier :
Mais c’est aussi le jeu de jouer en orchestre en fait, c’est de de suivre cette cette interprétation là, donc ça c’est une des difficultés. Il y a aussi gérer un groupe dans le sens rythmer une répétition et donc il peut y avoir des, enfin c’est comme une classe, il peut y avoir des bavardages, il peut y avoir des baisses d’attention, et donc ça c’est mon travail en tant que chef·fe d’orchestre de rythmer la répétition, pour qu’il y ait pas de moment creux en fait, pour que il y ait pas de de d’espace possible pour avoir cette baisse d’attention, ou alors de créer cet espace là aussi pour se reposer des fois, quand on voit que ça, ça tire un peu la langue, que ça fait des heures qu’on est dessus de, de créer un moment un petit peu plus creux, ouais, pour se se reposer et de d’impliquer tout le monde parce qu’en fait ,dans une partition, il y a pas tout le monde qui joue en même temps, et surtout quand on fait répéter ça peut arriver que je demande par exemple aux cordes uniquement, ou aux vents uniquement ou à tel pupitre les violoncelles et les contrebasses uniquement, donc il y a forcément des moments plus ou moins prolongés en répétition où des des personnes et des pupitres entiers ne jouent pas. Et donc c’est pouvoir faire en sorte que ce soit pas toujours les mêmes personnes qui ne jouent pas, ou alors pas toujours les mêmes qui jouent, donc ouais ça c’est la deuxième difficulté, c’est vraiment planifier et prendre en compte pour ces temps de répétition qui joue, combien de temps, faut pas que je sois que avec les cuivres, parce qu’en plus, il y a des, il y a des problèmes de technique, c’est à-dire un cuivre si je lui demande pendant 6 heures dans une journée de jouer à fond de soutenir sa note bah ses lèvres, elles vont pas forcément tenir surtout si c’est pas un professionnel ,donc il y a aussi des des restrictions physiques parce que c’est très physique de jouer d’un instrument
Florence :
Oui c’est vrai qu’on voit pas forcément. Et du coup comme tu dis que c’est surtout des des enjeux humains, est-ce que plus l’ensemble est grand, plus c’est difficile à gérer ?
Ana Meunier :
Non pas forcément enfin c’est vrai que plus l’ensemble est grand, plus il y a une inertie de groupe. Et donc c’est vrai que si jamais il y a une grande fatigue avec un groupe et beaucoup de personnes, ça va être une plus grosse machine à faire bouger, mais après, les problématiques restent les mêmes, et avec un groupe de 5 personnes ça peut être, parce que il y a des fois en fait où on dirige seulement 5 6 7 personnes dans surtout dans la musique contemporaine, ça se fait beaucoup, c’est c’est de la musique qui est pas facile à mettre en place et à garder ensemble, donc souvent il y a des chef•fes spécialisé·es dans le contemporain et qui travaillent que de la musique de chambre, donc des petits ensembles, et ça peut être aussi très fatigant d’avoir d’avoir cinq personnes, et qui sont, sur qui l’attention est beaucoup plus portée, qui sont concentrées tout le temps et, et ça ça peut ouais, je pense que la taille du groupe va pas forcément influencer sur ces problématiques là
Florence :
Ok en parlant de de contemporain, on projette souvent un seul type de chef•fe d’orchestre, donc devant un un grand ensemble, est-ce que tu veux bien nous en dire plus ?
Ana Meunier :
Oui c’est vrai. En fait un chef d’orchestre souvent bah moi, c’est la première image que j’ai eu hein, c’était ce qui m’avait un petit peu mené à ce choix de carrière. Mais souvent quand on imagine un·e chef·fe d’orchestre, on on se figure bah le chef superstar qui, qui dirige un petit peu partout dans le monde, qui est avec les plus grands orchestres, qui travaille avec des grands solistes et qui fait que du répertoire classique, en fait du grand répertoire, donc des symphonies, voilà encore une fois des pièces écrites par les hommes aussi <petit rire>, et et en fait c’est c’est pas du tout le le cas.
Il y a beaucoup de chef·fes d’orchestre qui sont pas dans le classique par exemple, il y a toute l’industrie de la musique à l’image, qui maintenant utilise beaucoup de moyens, donc des orchestres symphoniques et des musicien•nes. Il y a des chef·fes d’orchestre qui se spécialise dans la musique de films, de jeux vidéo, dans des concerts avec chanteur et orchestre pour la musique actuelle. Il y a aussi des chef·fes d’orchestre qui se spécialisent dans le contemporain et là il y a il y a de l’orchestre, mais il y a surtout beaucoup de de petits ensembles ou alors de d’orchestre par ce qu’on appelle orchestre par un (NDLR; avec un instrumentiste par pupitre) mais en fait c’est un orchestre vraiment réduit, donc c’est un ensemble de, une vingtaine de musicien·nes.
En fait c’est, c’est très très varié et et la musique il y aura toujours, enfin il y a toujours des ensembles ou des orchestres, et donc on peut décider de où on décide nous de de se spécialiser
Florence :
Mmm du coup par rapport à ce métier, quels sont les aspects les plus gratifiants mais aussi les plus difficiles ?
Ana Meunier :
Alors je pense que les plus gratifiants c’est lorsqu’ on réussit à passer une pièce qui nous donnait un petit peu des sueurs froides. Pour prendre un exemple un petit peu concret, là cette saison enfin cette année, on a fait le premier mouvement de la 5e symphonie de Beethoven ultra connue et qui est assez difficile. Elle est difficile pour l’orchestre et pour le chef parce que, enfin en terme de mise en place surtout, pour un orchestre d’amateur c’est vrai que la première fois que qu’on l’a joué, j’ai eu des petites sueurs froides pour le concert et je me suis dit “oulà on a du du boulot” et en fait au fur et à mesure des semaines, je me rendais compte que ça allait de mieux en mieux et que l’orchestre progressait ensemble. Et ça c’est très gratifiant quand on voit que le groupe progresse grâce à nous et qu’ils prennent des habitudes aussi. Par exemple, c’est une attaque, la symphonie de de Bethoven numéro 5, le premier temps, enfin la première note, elle est très très difficile à caler parce qu’elle est pas sur le temps, elle est sur le le contre-temps, donc pour attaquer tous ensemble au début, ça demande un grand grand effort de concentration, ça demande que tous les regards soient tournés vers ma baguette, et que que tout le monde soit vraiment ensemble à la seconde, quoi à la milliseconde.
Et le fait d’avoir travaillé ça semaine après semaine <rires>, parfois avec des résultats plus ou moins concluants bah je pense que ça nous a beaucoup soudé·es pour la suite, et puis j’ai vu que les musicien·nes avaient progressé, même maintenant pour, pour tout ce qui est mise en place, tout ce qui est attaque, ils sont beaucoup plus ensemble, s’écoutent beaucoup plus. Et donc quand on voit que grâce à nous en fait, l’ensemble progresse, c’est très gratifiant puis au moment du concert on a joué ce mouvement donc de Beethoven et et en fait ça sonnait bien quoi
Florence :
Trop bien.
Ana Meunier :
C’était vraiment, c’est vraiment mieux que ce que j’espérais par rapport à la première répétition et on on se rappelle de ces semaines et de ces semaines où on a eu des sueurs froides et ça c’est c’est très très gratifiant.
Et puis, en plus “compliqué”, je pense c’est quand on tente quelque chose et qu’on voit que ça marche pas. Ça peut arriver hein qu’on se trompe, comme tout le monde, des fois on pense que, en faisant telle ou telle chose, ça va régler un problème et en fait, des fois ça marche pas, et donc on doit s’adapter, parce qu’en fait la direction d’orchestre ,depuis tout à l’heure je parle du fait que j’arrive préparer en répétition et tout, mais en fait c’est souvent on arrive très très préparé·e, et euh tout ce qu’on s’était imaginé c’est à-dire “À tel moment ça va être plus compliqué, donc je vais le faire travailler comme ça” “Ah là il va falloir que je travaille ça” euh des fois, ça se passe pas du tout comme ça. Et il y a beaucoup de de réactions en direct. C’est-à-dire que moi je vais donner des indications auX musicien·nes avec mes gestes, sauf que en même temps les musicien·nes vont me m’envoyer une information de comment ils jouent. Et donc en temps réel, je vais vraiment devoir m’adapter à ce qu’il me renvoie pour pour ajuster ma battue, ma technique de baguette, pour ajuster ce que je vais leur demander également. Donc c’est vraiment un travail très fatigant, les les les quelques heures de répétition après, on est un peu lessivé·es parce que, on est tout le temps en concentration et qu’on écoute tout le temps tout le monde, pour tout le temps en fait améliorer le le son
Florence :
C’est amusant parce que du coup, nous comme encore une fois on voit que le moment de la restitution
Ana Meunier :
ouais
Florence :
on aurait pu penser que un des moments difficiles serait rattaché à ces moments euh de représentation finale oui et pas du tout c’est euh
Ana :
Non <rires>
Florence
C’est plutôt la répétition en fait qui
Ana Meunier
Ouais la répétition c’est vraiment là où tout se joue, les plus gros enjeux sont en répétition. Et au moment du concert en fait, on a répété des semaines voire des mois pour cette représentation, donc souvent euh bon soit on est prêt soit on n’est pas prêt, mais dans tous les cas, il y a plus rien à travailler, enfin c’est un peu tard donc c’est là où on se fait plaisir. Il y a, bon je reste quand même vigilante si jamais, il peut toujours y avoir des problèmes de stress, des personnes qui décident de partir plus tôt et donc recaler tout le monde, mais bon, ça arrive pas souvent. Souvent c’est là où je suis le plus décontractée, c’est là où je me fais le plus plaisir aussi, parce que tout le travail a été fait en amont.
Florence :
D’accord. Pour devenir chef·fe d’orchestre
Ana Meunier :
oui
Florence :
et rester chef·fe d’orchestre, quel obstacle tu as rencontré ? et de l’autre côté quel soutien ou levier tu as eu ?
Ana Meunier :
Le soutien je l’ai surtout eu à travers mes collègues et camarades de classe, enfin j’ai l’impression que je suis très chanceuse de, d’avoir d’être tombée sur cette classe là. Parce que on a un peu l’idée que dans une classe de direction d’orchestre, ça se tire dans les pattes pour pour pouvoir accéder, parce que c’est très compétitif et il y a beaucoup de prétendants pour très peu de place, donc on pourrait se dire qu’il y a beaucoup de de compétitions, un petit peu comme des classes de prépa. Et en fait dans ma classe enfin du coup dans mon ancienne classe, on était tous très porté·es vers l’entraide, et ça c’est, ça a été vraiment super pour débuter ma carrière. Par exemple si quelqu’un qui dirigeait un orchestre était absent une semaine, il pouvait appeler les copains pour dire “Ah bah tiens remplace-moi” ou alors “Tiens j’ai entendu telles opportunités” et donc en fait on s’entraide beaucoup, on se refile les bons plans. Moi je sais que je me fais remplacer par toujours des anciens camarades de classe, avec qui je suis plus, mais mais j’ai j’ai gardé leur leur nom en tête et je sais qu’ils font du bon travail, donc j’ai pas de souci à me faire remplacer s’il y a besoin par ces gens-là et ça me fait plaisir donc ouais je pense que les plus grands soutiens ça vient en tout cas pour mon expérience personnelle à travers les ami·es et les collègues que j’ai eu depuis plusieurs années.
Il y a aussi les musicien·nes mine de rien surtout dans les grandes villes comme Paris, les musiciens souvent ils jouent dans plusieurs orchestres ou alors dans plusieurs ensembles et donc du coup on est amené en fait à avoir des musiciens qui qui connaissent d’autres ensembles, qui peuvent nous donner des bons plans, donc ça c’est c’est assez précieux. Et puis aussi mes anciens professeurs enfin je sais que il y a une opportunité de diriger une de mes pièces qui est apparu grâce à mon ancien professeur de composition, donc ça ça c’est c’est super aussi.
En terme de défi, je pense que le premier obstacle, c’est vraiment entrer dans le monde de la direction d’orchestre parce que c’est pas, c’est pas hyper connu en fait, on sait pas trop comment, moi c’est ce qui s’est passé, je savais pas par où commencer, je savais pas comment entrer dans une classe de direction. Il faut savoir que dans les grandes villes, c’est plus facile, mais si on est en province ou alors dans une ville qui a pas de classe de direction, c’est c’est très compliqué donc je pense que le premier pas vers le monde de la direction, il est pas facile à franchir parce que il y a pas beaucoup de connaissance dessus et il y a peu de ressources aussi, il y a peu de classes en fait, si on n’est pas dans une grande ville.
Donc souvent il y a beaucoup de gens qui font ça, souvent c’est des musiciens en fait qui vont être amenés à diriger dans l’ensemble où ils jouent, par exemple dans les orchestres d’harmonie donc ça il y en a un peu partout en France, ou alors dans des orchestres ne pas hésiter à demander à dire au chef ou à la chef que nous, ça nous intéresse si on peut essayer à la fin d’une répétition enfin vraiment la moindre petite opportunité elle est elle est bonne à prendre, parce que c’est vraiment en faisant qu’on se forme.
Et puis aussi un autre levier enfin un autre pas levier mais un autre obstacle c’est, je pense qu’il y a beaucoup de comment dire de problématique autour de l’image qu’on renvoie parce que c’est un poste où on est très très exposé, très visible et surtout c’est un poste de direction et quand on est jeune, on est tout de suite placé en fait en haut de la hiérarchie de l’orchestre, c’est-à-dire que tous les jeunes chefs d’orchestre donc tous les chefs d’orchestre ils sont jeunes à un moment donné et ils sont face à des musicien·nes qui ont 30 40 ans de de métier derrière eux et ils se retrouvent face à ça. Donc c’est vrai que c’est un petit peu particulier de se dire que on sort de conservatoire, on sort de classe, et ça y est on est déjà mis en poste de direction, donc ouais je pense qu’il faut au début en tout cas, il faut vraiment faire ses preuves et être solide là-dessus.
Forcément il y aura des biais aussi on en a pas parlé mais quand on est jeune déjà, on va dire que c’est pas l’image qu’on se fait d’un chef d’orchestre et puis quand on est une jeune femme aussi, il peut y avoir des biais inconscients je pense la plupart du temps mais quand même où il va falloir faire ses preuves et et vraiment renvoyer une certaine image
Florence :
Du coup comment tu gères ça ? Qu’est-ce que tu veux dire par renvoyer une certaine image ?
Ana Meunier :
Oh je pense qu’il faut être il faut avoir confiance en ses capacités, c’est-à-dire que, il faut pas forcément se laisser intimidé·e ou impressionné·e par justement le fait d’être face à un groupe de musiciens et certains qui sont des des professionnel·les aguerri·es depuis bien plus longtemps que nous, c’est c’est une confiance à avoir. Il faut se dire qu’on est quand même jeune et qu’on est en apprentissage et que de toute façon on fera des erreurs, pas se bloquer là-dessus, pas partir en en se disant que on a pas du tout le droit à l’erreur, et que c’est terrible si on en fait une, tout le monde se trompe à un moment donné et on apprend de nos erreurs aussi c’est ce qui nous fait progresser
Florence :
Est-ce qu’il y a quelque chose dont tu n’avais pas conscience et que tu as réalisé en devenant cheffe d’orchestre ?
Ana Meunier :
Euh oui ! il y a plusieurs choses. Alors déjà la première chose je pense et à laquelle je m’attendais pas du tout parce que je me posais pas la question en fait, donc ça a été un petit peu une réalisation comme une porte en pleine figure, mais c’est que c’est un poste avec une grande visibilité dans le sens où on est physiquement présent et, et en fait forcément il y a des biais dont il faut avoir conscience et par ça je veux dire que, et ben c’est vrai que, il y a pas beaucoup de femmes cheffes d’orchestre, on n’a pas l’image du chef d’orchestre en se disant que c’est une femme et forcément quand on est une femme cheffe d’orchestre et que on est face à des musiciens je pense que dans le lot, il y a forcément des personnes qui ont des biais là-dessus et qui jugent que il y a soit moins de compétences, soit un leadership, on va dire moins naturel, et et du coup on peut nous renvoyer un peu une image soit soit on est douce et gentille, soit maîtresse d’école enfin tout de suite on va rentrer dans des des cases un petit peu stéréotypées, et pour se défaire de ça, c’est pas forcément évident. Il y a par exemple en direction d’orchestre, il y a des concours de chef·fes d’orchestre et souvent c’est une manière de démarrer une carrière et en fait on est jugé en 20 minutes 10 minutes sur notre performance et et je pense que quand on voit une femme versus un homme, c’est tous les biais de société qui sont projetés, et qui sont pas forcément conscients, mais on va peut-être voir plus facilement un homme en position de pouvoir ou de direction que une femme, donc ça c’est vrai que, ouais du coup ça, ça peut être un petit peu frustrant, ça peut être un petit peu nouveau aussi, quand on s’y attendait pas le fait que, si on va demander des choses un petit peu sèchement on va être jugé bah “sévère” et pas forcément juste “sérieuse”, si on va penser un petit peu quelque chose, c’est c’est plus “manipulateur”, moins “stratège”
Florence :
D’accord. Et comment tu gères ça du coup au quotidien ?
Ana Meunier :
Je le gère pas. Je pense que c’est pas forcément à moi d’ajuster ma manière de me présenter pour, parce que de toute façon, je pense que, un c’est pas contrôlé en face, et deux, moi il y a pas grand chose que je puisse faire là-dessus. Donc c’est juste être au courant que des fois, on va se prendre des réflexions, ou alors on va être perçue un petit peu différemment, c’est pas la fin du monde
Florence :
Oui tu replaces ça sur leur responsabilité
Ana Meunier :
Oui c’est ça
Florence :
… plus que toi en fait. Tu te remets pas en question à cause de ces biais
Ana Meunier :
Non j’ai pas à endosser ça. Enfin, il y a des des cas où je peux faire des des erreurs et là dans ce cas-là, j’accepte mais, très rapidement, on se rend compte enfin ,quand on a un petit peu l’habitude, on voit en fait quel mécanisme en face se met en place, et donc je vais mettre la responsabilité sur leur perception effectivement, et puis surtout je pense que au fur et à mesure, en voyant des femmes cheffes d’orchestre, on va aussi ouvrir notre notre imaginaire des cheffes d’orchestre possibles, notre vision aussi du métier, parce que pour l’instant c’est un métier très masculin donc forcément quand on dit “Ah bah imagine chef d’orchestre”, on s’imagine souvent un homme, âgé en plus
Florence :
Oui clairement. D’ailleurs il y a, tu parlais des concours de chef·fes d’orchestre, ça a changé ces dernières années la façon de de les auditionner ?
Ana Meunier :
Euh alors souvent les concours de chef d’orchestre, on envoie des vidéos pour les tours de présélection, parce que en fait il y a des centaines et des centaines de personnes qui postulent, donc forcément ils ont pas le le temps l’argent et l’énergie pour faire auditionner des centaines de personnes en temps réel avec un orchestre. Donc ce qu’ils font c’est que ils demandent des vidéos et ensuite sur vidéo, ils vont faire une sélection de 20 30 personnes et puis ensuite, c’est par tour donc premier tour, deuxième tour, final
Florence :
D’accord. C’est pas du tout ce que j’avais entendu <rires>
Ana Meunier :
Ah bon ?
Florence :
parce que du coup c’est c’est super biaisé potentiellement je veux dire s’il y a une vidéo. J’avais entendu parler d’un rideau qui faisait que
Ana Meunier :
Ah oui bah le rideau, alors le rideau c’est c’est une belle invention ! en fait le rideau c’est fait pour les musiciens d’orchestre, donc les instrumentistes. Et oui c’est vrai à l’époque il y avait en fait un nombre de femmes dans les orchestres très très réduits voire qui n’existait pas dans certains orchestres et en fait ils ont instauré la la norme du rideau, c’est-à-dire que maintenant pour auditionner un musicien pour recruter dans un orchestre, les musiciens, ils vont jouer leurs morceaux de de concours derrière un rideau et donc le jury ne voit pas qui auditionne donc c’est ce qu’on appelle des auditions soit au rideau soit à l’aveugle. C’est une manière aussi de rendre anonyme le, comment dire, l’élection et le le casting.
Sauf que pour un chef d’orchestre bah on est obligé de nous voir donc il y a pas de rideau et forcément en fait c’est un métier où notre corps, il est très important parce que c’est notre corps qui va donner toutes les informations et il faut être au courant que notre corps il va être perçu et notre corps c’est c’est c’est la première chose en fait qui va être qui va être visible qui va être jugé
Florence :
Ok super merci Ana pour ces échanges. Pour finir j’ai l’impression que tu as un peu répondu à cette question mais si tu as un autre élément à ajouter dessus ça peut être intéressant : quel conseil tu donnerais à un jeune ou une jeune chef·fe d’orchestre aspirant ?
Ana Meunier :
De se lancer. Bon déjà bonne chance et le chemin va être long parce que c’est vrai que c’est un métier facile et qui vient avec la pratique parce que oui, je parle de classe de direction d’orchestre où j’ai beaucoup appris, mais en fait c’est, c’est vraiment se LANCER dans le grand bassin qui va nous faire progresser le plus. Donc en tant que conseil, bon déjà chercher s’il y a des classes de direction qui sont disponibles, parce que c’est toujours bien d’avoir cette base, ensuite de demander au chef de l’ensemble où on fait partie de de s’essayer la direction, ou si jamais on n’est pas dans un ensemble, il y a beaucoup beaucoup de pratique amateur quand même mine de rien, il y a beaucoup d’orchestres amateurs et entrer en contact avec ces orchestres. Demander si on peut assister aux répétitions, rien que le fait d’assister à des répétitions ça, ça apprend beaucoup, je pense que le plus gros conseil que je peux donner, c’est d’aller parler aux gens, d’aller parler à des chef·fes et d’assister à des répétitions aussi.
Florence :
Merci beaucoup Ana Meunier
Ana Meunier :
Merci
Florence et Ana en choeur :
Bonne journée
—
[musique de générique d’outro]
Florence : On espère que cet épisode vous a plu. Si c’est le cas, n’hésitez pas à le partager à vos proches, ou à nous noter 5 étoiles pour contribuer à sa diffusion.
Sara : La Place des Grenouilles est une association à but non lucratif qui compte sur vos dons. Vous pouvez aussi adhérer à l’asso à partir de zéro euro !
Toutes les infos sont disponibles sur notre site internet
Florence : lapdg.fr
[fin de la musique de générique d’intro]


Laisser un commentaire